Californie, début des années 1960... Alors que les premiers surfeurs courent vers l’océan Pacifique planche sous le bras, les motards de la côte ouest découvrent la Royal Enfield 750 Interceptor. À l’époque, le twin longue course anglais étonne par ses performances, son poids et son prix... Les jeunes l’achètent en masse pour sillonner la côte californienne. Près de 60 ans plus tard, la marque, désormais indienne, souhaite rééditer la scène... Mais à l’échelle mondiale, cette fois, et avec un twin « mid size » de 650 cm3. Portés par l’océan en attendant la vague, nos surfeurs sont toujours présents sur le Pier de Santa Cruz. Comme leurs planches, passées du bois à la fibre composite, l’Interceptor, présentée aujourd’hui par Royal Enfield face à la plage, a elle aussi bien évolué techniquement. Mais d’un point de vue stylistique, la charmante moto reprend toujours les codes esthétiques du modèle classique : phare rond cerclé de chrome, réservoir ventru à gros bouchon, double instrumentation à aiguille, selle plate et longue, jantes à rayons et pneus fins. Elle se fend même d’un magnifique moteur à grands carters polis. Enserré dans un cadre en acier à double berceau des plus classiques, le bicylindre en ligne pointe fièrement ses longues ailettes de refroidissement tandis que son injection est adroitement maquillée par de faux demi-filtres à air de type camembert. C’est beau à détailler, sans en faire trop... Et le gabarit « mini » de l’ensemble invite à débéquiller (facilement) la belle de sa centrale pour filer vers notre destination du jour : San Francisco via la mythique Highway One.
Confort d’antan
Bien installé aux commandes, tout paraît simple et intuitif. Le guidon assez haut et assez large tombe bien dans les mains, la selle relativement haute (803 mm) mais étroite permet de poser facilement les deux pieds au sol (pour les plus de 1,70 m), le rayon de braquage apparaît suffisant et les 202 kg de l’engin (sans les 13,8 litres d’essence) ne se sentent pas à basse vitesse. Tout juste notera-t-on la petite gêne occasionnée par la tige de commande d’embrayage contre le mollet lors de l’arrêt au premier feu.
Sortir de la ville n’est qu’une formalité, tant notre surfeuse du jour se révèle agile dans le trafic urbain. Je me retrouve donc rapidement dans la brume matinale de la côte Pacifique, cruisant nez au vent, charmé par le son crépitant de ses deux échappements coniques qui caresse mes oreilles.
Air cool
Avec 47 chevaux et un couple de 5 m.kg quasiment disponible des 2 000 tr/min, le nouveau twin 650 de Royal Enfield se veut « universel » : comprenez qu’il doit plaire à tous, dans tous les pays ! Une lourde tâche qui explique ce choix de cylindrée moyenne, comparé aux 800 et 900 auxquels Triumph et Ducati nous ont habitués depuis quelques années. Avec un calage de vilebrequin à 270°, comme un V twin, il ne manque pas non plus de caractère. Une véritable prouesse pour un moteur toujours refroidi par air et qui ne nécessitera que des modifications mineures pour satisfaire à la future certification Euro 5.
Quelques miles suffisent à nous faire ressentir tout le soin et l’attention apportés par la marque pour peaufiner sa mécanique et la rendre « royalement » homogène : boîte 6 vitesses bien étagées verrouillant parfaitement sous la Doc Martens, embrayage anti-dribble léger au levier, vibration contenue dans le cadre, le twin Enfield distille la juste dose de « Good Vibes ». Calé à 5 000 tr/min à 130 km/h sur le dernier rapport, il offre encore des relances toniques et une bonne plage d’utilisation jusqu’à 7 000 tr/min. Bien plus facile et équilibrée que feu la Kawasaki W650, m’indique un confrère qui ne jurait, hier encore, que par la sienne. J’acquiesce volontiers !
Nous quittons le long ruban côtier pour nous enfoncer dans les « Redwoods », cette forêt de séquoias géants.
En freestyle sur l’asphalte
La route, agréablement torturée, dévoile une autre facette magique de cette moto indienne : sa partie-cycle. Développé par Harris Performance, le simple cadre double berceau en acier ne paie pas de mine, mais révèle tout le savoir-faire de ce spécialiste de la compétition. Sur ses roues de 18 pouces et ses pneus (développés spécifiquement par Pirelli pour elle), l’Interceptor se montre à la fois stable comme un long board dans les bouts droits et aussi joueuse qu’une planche de freestyle dans les virages. Plus maniable et plus amusante que bien des motos classiques actuellement sur le marché (Moto Guzzi V7 ou Triumph Street Twin en tête), l’Interceptor ne manque pas non plus de garde au sol. Seules ses suspensions (amortisseurs de marque Gabriel réglables en précharge) sont un peu sèches en fin d’amortissement sur les bouts très bosselés... Enfin, bonne surprise pour une Enfield, le freinage offre cette fois un excellent mixte entre progressivité et consistance. Son secret ? Des durites tressées et un grand disque monté sur frette de marque Brembo à l’avant et un ABS Bosch assez peu interventionniste (mais non déconnectable). Et les autres assistances ? « Pas besoin ! », m’explique le patron de la marque, Siddhartha Lal, qui nous a accompagnés sur ce roulage : « Franchement, est-ce que l’on a vraiment besoin d’un contrôle de traction sur une moto de moins de 50 chevaux ? Je ne le pense pas. » Une réponse honnête, comme la moto qu’il a conçue, capable de rassurer n’importe quel soixante-huitard qui souhaiterait se remettre aux 2-roues ou donner confiance à ceux qui n’ont pas connu cette époque mais qui rêvent de la revivre au guidon d’une machine authentique... et ludique !
Le verdict
Simple et authentique, cette Royal Enfield Interceptor incarne l’esprit classique des vieilles machines anglaises. Et son tarif « indien » risque fort de faire craquer la terre entière : annoncée à 5 799 $ aux USA, elle devrait sortir aux alentours de 6 000 € en France. Confirmation le mois prochain au salon de Milan. C’est presque moitié moins que ses concurrentes directes (Guzzi V7 III, Triumph Street Twin) et avec des qualités comparables...