Essai

Reprenons les choses au début. Premier marché moto de la planète, avec une bonne vingtaine de millions d’unités vendues chaque année (on vous fait ça à la louche, ça dépend des millésimes, du contexte, du sens du vent et de la force de la mousson, et puis aussi si Shiva a levé tous ses bras en même temps… et du coup la fourchette va de 17 à 22 millions), mais en réalité l’immense ultra majorité des engins sont des moins de 150 cm3 (qui devront d’ailleurs être électriques en 2025, imaginez l’ampleur de la transformation). Bref, dans ce pays, rouler sur la marque nationale, Royal Enfield, c’est la classe absolue, c’est un signe extérieur de richesse.

La Royal Enfield "Bullet" Classic 500, ou le modèle le plus emblématique de la firme

Là-dessus, on rajoute un phénomène récent : la classe moyenne indienne (on parle facilement de 100 millions de personnes) s’est prise de passion pour la moto, et dans la culture du coin, aller franchir les pistes de l’Himalaya fait de vous un biker, un vrai. Du coup, Royal Enfield s’est dit qu’un petit trail serait plus adapté à ça que l’antique Bullet : et toc, ils ont sorti l’Himalayan, qui était Euro 3 au début, avec des cadres qui cassaient.

L’Himalayan, ou la base de la Scram 411

Mais qui n’avance pas recule : RE a bossé, la moto s’est améliorée, au point que l’Europe l’a voulue et qu’elle y a connu son petit succès. Là-bas, ça a été le carton, et pas seulement sur les pistes montagneuses : on en a retrouvé dans toutes les grandes villes indiennes, parfois transformées. Là, chez RE, on s’est dit : « tiens, une Himalayan deshimalaysée, ça a de la gueule ».


Royal Enfield Scram 411 : présentation

Du coup, les deux bureaux de design de la marque ont bossé l’idée et tant en Inde qu’en Grande-Bretagne se sont entendus pour arriver au résultat que nous avons sous les yeux et qui est, ma foi, assez sympathique ! Oh, il n’y a pas de révolution par rapport à l’Himalayan : la roue avant passe de 21 à 19 pouces et l’ensemble conserve des pneus mixtes de marque CEAT, le débattement de la fourche est réduit de 200 à 190 mm, le bâti qui tenait le pare-brise disparaît au profit d’un phare et de son petit capotage directement montés sur la fourche, la selle est nouvelle et se veut plus confortable.

Enfin, le tableau de bord est simplifié : si les Scram 411 disposent du Tripper (ce ne sera pas le cas en Inde pour cause de gestion du nombre de semi-conducteurs), elles perdent le compte-tours et la boussole des Himalayan…

Au final, le tarif est en légère baisse, avec un prix d’entrée à 4999 € pour les versions grises et 5290 pour celles en peinture blanche ou argent. Rappelons que c’est moins cher qu’un scooter 125 un peu prétentieux.


Royal Enfield Scram 411 : prise en mains

Y a-t-il une moto plus facile à prendre en mains que l’Himalayan ? Maintenant, on peut répondre oui : il y a la Scram 411 ! Par rapport au trail, le Scrambler voit sa hauteur de selle diminuée de 5 mm (795 mm contre 800) et son poids gagner quelques grammes (les fiches techniques du constructeur donnent 185 kilos à sec pour la Scram, 199 avec les pleins pour l’Himalayan, sachant que le réservoir contient 15 litres (et qu’un litre d’essence pèse 750 grammes – et qu’il n’y a pas d’eau). Bref, c’est facile, d’autant que la selle n’est pas trop large à l’entre-jambes, même si les repose-pieds sont un peu à la place des tibias quand on est à l’arrêt. On passera sur l’absence de leviers réglables (faites-vous greffer des doigts si les vôtres ne conviennent pas), pour se concentrer sur l’essentiel : la grande facilité du reste !

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Commandes douces et précises, moteur souple, monocylindre à la sonorité pas trop envahissante, la Scram 411 est bien évidemment le genre de motos que l’on conseille à tous et à toutes, y compris et surtout aux débutants, mais pas que. Bref, on frôlerait bien une forme d’extase motorisée, nonobstant un feeling un rien ferme au sélecteur ; mais il est vrai que ma moto d’essai était peu rodée, avec à peine 200 kilomètres au compteur. Enfin, terminons sur le rayon de braquage, très bon.


Royal Enfield Scram 411 : sur la route

D’un point de vue technique, il n’y a pas de différences entre l’Himalayan et la Scram 411 : moteur, boîte de vitesse, transmission finale, freins, suspensions (à part 10 mm dans la fourche, et bien entendu, 2 pouces dans la roue avant). Bref, l’Himalayan était un vélo, et donc, la Scram 411 est un vélo. Évidemment, vous lirez ici ou là que le train avant est plus léger et que la nouvelle tourne dans les virages comme une gymnaste roumaine pré-pubère alors que l’autre avait la grâce d’une femelle éléphant enceinte de 18 mois (c’est beaucoup, mais c’est normal).

En réalité, l’avantage des monocylindres est d’avoir un centre de gravité bas, puisque la masse du vilebrequin doit être élevée pour leur conférer une certaine rondeur d’usage et ça, c’est la philosophie des monocylindres Royal Enfield. Du coup, l’on pourra trouver que 185 kilos, pour une moto aussi petite et aussi modeste, c’est beaucoup, mais en réalité le poids ne se sent pas vraiment. Et vu les vitesses très raisonnables auxquelles on roule généralement, on a tendance à travailler la partie-cycle en douceur plus qu’en férocité. Du coup, franchement, elles sont très proches l’une de l’autre et le premier qui vous dit qu’il a senti un poil de résistance en plus ou en moins lors d’un freinage sur l’angle mérite d’être team manager de Royal Enfield en MotoGP.

La Scram 411, comme tous les monocylindres indiens, se travaille en souplesse : ses performances sont modestes, elle revendique une forme de décroissance heureuse, du genre qui vous donne la banane car si l’on se traîne, l’on est content de se traîner. Évidemment, les excités de la poignée et les retardataires perpétuels auront tout intérêt à visiter une autre crémerie.

Le monocylindre longue course offre un agrément incomparable, si vous êtes évidemment sensible à ses charmes. Capable de reprendre sur un filet de gaz à 30 km/h en troisième comme à 50 km/h en cinquième, il se laisse mener dans un « poum poum » plein de sérénité. La vitesse de croisière : elle est confortable entre 90 et 100 km/h ; au-delà, on sent que l’on tape dans les ressources du moteur, capable d’aller un peu au-dessus de 120 km/h, mais ce n’est bien évidemment pas ce qu’il préfère. Idem, pour doubler un camion, apprendre les bases de l’apnée tout en envoyant l’aiguille du compte-tours (imaginaire) du quatrième rapport au-delà de 100 km/h sera utile.

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Rappelons que le bloc sort 24 chevaux à 6500 tr/min et 32 Nm de couple à 4250 tr/min. Vous pouvez préférer une Kawasaki Z H2 SE dont les 200 chevaux sont dopés par un compresseur, mais c’est quatre fois plus cher et ça consomme deux fois et demie plus (mais c’est bien quand même !).

Vous l’aurez compris : la Scram 411, comme tous les monocylindres Royal Enfield, n’aime pas être brusquée. Cela étant, son agilité, sa souplesse et sa facilité naturelles en font la reine d’un quotidien apaisé, la princesse du réseau secondaire où l’on va chercher le brin de poésie qui manque à la violence du monde moderne, où les petits bonheurs nourris d’un enchainement entre deux champs de colza, avant de plonger dans un sous-bois où coule un ruisseau, apportant un brin de fraicheur qui vous sera remonté par vos orteils.

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Évidemment, l’ensemble des qualités dynamiques est férocement moyen, attention, moyen ne veut pas dire médiocre. Entendez-par-là que ni la tenue de route, ni le freinage, ni la rigueur des suspensions ne sont à citer en exemple dans des écoles d’ingénierie, mais ce n’est pas grave pour deux raisons : la première, c’est que le tout est cohérent, même au niveau des suspensions, un rien fermes sur les petites irrégularités, mais finalement assez conciliantes sur les plus gros chocs. Idem pour le freinage, pas transcendant, mais suffisant au vu des performances.

Encore une fois, cette moto, c’est de la décroissance heureuse : à son guidon, elle survole les bosses, se jette dans les virages rien qu’en frémissant d’une oreille, tracte sur le couple de son petit mono, et l’on se dit que la vie est belle et qu’il faudra vraiment se forcer pour perdre des points.


Essai Royal Enfield Scram 411 : conclusion

Qu’apporte la Scram 411 par rapport à l’Himalayan ? Un look plus urbain, plus branché, servi par des coloris plus frais et plus pimpants. Une économie de quelques sesterces. Une facilité de conduite inégalée, des plaisirs simples, peu dispendieux et pourtant roboratifs. Certes, on ne cesse de le répéter, il y a un pré-requis : celui de pouvoir se contenter d’une moto aux performances objectivement modestes, et parmi le petit groupe des journalistes conviés à l’essayer, certains en étaient capables, d’autres pas du tout, un troisième petit groupe se disait que ce serait cool en deuxième ou en troisième moto.

Comme l’Himalayan, la Scram 411 est capable d’aller au bout du monde, mais ce sera par les chemins de traverse, et pas à deux, sur l’autoroute, à 150 de croisière. En corollaire, les itinéraires obligés vous enrichiront en souvenirs et ça, ça n’a pas de prix. Enfin si, moins de 5000 balles, et là, on frôle le good deal. Oh, un dernier mot sur la selle, supposément plus confortable : elle en donne l’illusion, mais se révèle quand même dure au niveau des arêtes. La perfection n’est pas de ce monde et, finalement, c’est pour cela aussi que l’on aime la moto.

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