Trônant sur un podium rotatif, la belle laissait admirer sa plastique agressive en diable, nous laissant sans voix, tandis que ses concepteurs faisaient planer les rumeurs quant à ses performances... Celles-ci connues, ne nous restait plus qu’à savoir comment elle roule sur route ! Mais avant de débuter les hostilités, détaillons les deux protagonistes de ce match.
Plastique de rêve et origami. Dans le coin droit, la KTM Super Duke, tenante du titre du roadster twin européen le plus extraverti, que l’autrichienne défend depuis maintenant quatre ans. Accusant 201 kg pour 105,3 ch (vérifié par nos soins), la Katoche le remet en jeu pour 2009.
Dans le coin gauche, le challenger, la Ducat’ Streetfighter 1098, 196 kg pour 109 ch, est un véritable plaidoyer pour la performance pure ! Au premier regard, on voit que les deux sont affûtées pour ce match. Dans sa livrée rouge, la Ducat’ vous en colle plein la vue ! Détails, finition, conception technique, on a affaire à une bête de course. C’est un peu normal puisque la « combattante des rues » n’est autre qu’une Superbike dépouillée de son carénage. De son côté, la KTM passerait presque pour un roadster basique. On s’est habitué à son style prismatique, où les courbes n’ont pas le droit de cité. Mais le charme agit toujours... « Le style KTM, façon cocotte en papier, est unique ! Aucun autre constructeur ne suit cette démarche, c’est pourquoi j’aime cette machine. » Voilà la réflexion de Denis, lecteur invité pour ce comparo sportif, et qui résume bien l’attrait que continue d’exercer la Super Duke.
Prise en main : Combat de rue.
Au programme, de la ville pour s’extraire de l’Île-de-France, 450 km d’autoroute direction le Massif central et trois jours de balade autour d’Ambert (oui, la fourme, miam !).
Impatient (et joueur...), je me jette sur la Ducati. Bien mal m’en prend... En ville, la Street’ est un enfer ! Position basculée sur l’avant (on s’approche là d’une position de sportivo-GT), embrayage à sec... sec, souplesse moteur en option, rayon de braquage problématique (presque 6,50 m) et chaleur du moteur, tout concourt à faire monter le stress... Et que la direction est lourde ! L’association du guidon étroit et de l’amortisseur de direction non réglable rend le braquage difficile. Bref, la succession de feux rouges sonne comme une punition, l’embrayage se met à brouter et ma patience s’amenuise... Combattante des rues ? Mouais... C’est plutôt vous le combattant. Denis, lui, ne semble pas trop peiner. Après avoir pris la mesure du bloc LC 4 (il n’est pas très souple), de l’embrayage hydraulique (dur) et de la hauteur de selle, il glisse entre les berlines à crédit vers la porte d’Orléans. Et quand on pense que la KTM passait pour une machine rétive en ville...
Comportement : E pericoloso sporgersi.
Sur autoroute, la Streetfighter inverse la donne. Sa position sur l’avant est une bonne alliée contre le mur d’air du ruban noir. On peut filer à bonne allure (150 km compteur) et enquiller les bornes, bercé par les bonnes vibrations du bloc Testastretta. Sur la KTM, le temps est à l’orage. La position droite et le guidon large induisent une prise au vent qui limite la vitesse de croisière. Passé (de peu) la vitesse légale, on en prend plein
la quiche ! quant aux vibrations moteur, elles sont moins douces que celles de la Ducat’.
Enfin, la sortie d’Issoire se profile (vous savez, là où sont fabriquées les Voxan...) : petite pause réparatrice, ravitaillement en carburant (qui a bien augmenté, en passant) avant d’attaquer les contreforts du Livradois-Forez.
Denis, juché sur la KTM commence à avaler la D 999 au rythme que lui autorise la Super Duke. Je lui emboîte la gomme arrière... Pas pour longtemps ! Le train avant de la Ducati renvoie un feeling pour le moins singulier... Fourche mal réglée, mauvaise pression d’air dans le pneu avant ? Après une vérification rapide, je ne vois rien d’anormal. Je reprends la route et constate que la Ducati répond mal à mes injonctions. Le train avant, lourd, oppose une franche résistance à la mise sur l’angle et, une fois sur la traj’, demande un contre-braquage puissant pour garder la ligne. Difficile d’être en confiance avec cette instabilité chronique... Cette « raideur » est une caractéristique que partagent les Superbikes de la firme (lire l’essai de la 1198 S dans MM n° 254).
La seule solution, c’est de déhancher, de prendre appui sur les repose-pieds pour la mettre sur l’angle et de rentrer fort dans les courbes. Bien, mais on en a vite marre, sans compter la dangerosité de l’exercice. Hors sujet sur la route !
Moteur : La rage tranquille.
Rien de tout cela avec la KTM. Vive, neutre, précise, l’autrichienne est un concentré de plaisir dans les virolos. Peu de transferts de masse (l’accord des suspensions WP est un exemple), un train avant qui dessine les courbes que vous lui imposez, la Super Duke est un outil que la belle Ducati a eu bien du mal à suivre... malgré un moteur rageur qui trichotte un peu (109 ch sur notre banc). Passé la zone molle sous les 3 000 tr/min, celui-ci bombe le torse et vous balance ses 11 m.kg en pleine poire au seuil des 5 000 tr/min – que le « Traction Control » s’applique à juguler –, pour la plus grande joie du gommard arrière hypertendre. Ensuite, les « cavalli » prennent le relais, au fil des rapports engagés, en vous projetant les courbes au visage dans un grondement mêlant bruits mécaniques et râles des échappements. Même bridé, le Testastretta reste un pourvoyeur de sensations. De son côté, le twin LC 4, bien que généreux en caractère, est moins bien rempli en bas (il offre son couple maxi 1 500 tours plus haut que celui de la Ducat’) et coupe net son effort au seuil des 7 000 tours, alors que le twin Ducat’ a 2 000 tours de rab. Pour faire simple, disons qu’il n’a pas la hargne de la turbulente italienne, mais comme il tire plus court, il est aussi performant malgré sa cylindrée inférieure de 100 cm3. Reste que la symbiose châssis-moteur de la KTM est bien plus nette que celle de la Ducati...
Finissons par le freinage. Celui de la bolognaise devient la nouvelle référence du genre : plus puissant, ce n’est pas (encore) possible ! Un vrai plaisir pour les accros des insectes collés dans le dos ! Au point de faire passer celui de la KTM (déjà copieux) pour des freins à patins de wagon-lit.
Verdict
Au terme de cet essai, la victoire va sans conteste à la KTM. L’exclusivité de la Ducati la confine dans un spectre d’utilisation vraiment restreint. La Streetfighter n’est rien d’autre qu’une Superbike sans carénage, avec les contraintes qui vont avec. Reste le tarif : 18 700 € pour cette version S équipée de l’antipatinage, de l’acquisition de données et de suspensions Öhlins (pas plus efficaces que les WP de la KTM). C’est beaucoup trop en regard des prestations routières de la belle. Pour 6 000 € de moins (rien que ça !), la KTM Super Duke vous en offre bien plus (confort, facilité, homogénéité) et saura flatter votre pilotage par une neutralité de comportement bluffant. Mais si, pour vous, c’est « Ducati only », lorgnez vers la Monster 1100 S, à nos yeux le roadster le plus sympa et le plus polyvalent de la firme, à un prix nettement plus démocratique...
Avec la participation de Denis Lecuit.