Le suspens était loin d’être intenable hier dans la salle de presse de Matignon. En attendant l’arrivée du Premier ministre, les journalistes y allaient même de leur plaisanterie. « Tu paries sur combien toi ? Moi je dis qu’il va couper la poire en deux et surprendre tout le monde en annonçant une baisse de la vitesse maximale autorisée à 85 km/h ». Sourires dans une salle plutôt comble pour se faire révéler un secret de polichinelle.

Mortalité routière personnifiée
Le premier ministre arrive, se met au pupitre et commence son discours en parlant du tragique accident de la circulation survenu récemment en Seine-et-Marne. Il a couté la vie à un enfant de 7 ans et grièvement blessé sa mère. Le chauffeur était en état d’ivresse. Le Premier ministre continue sur ce terrain en évoquant sa visite dans un centre de soins où « certains mettent des mois pour récupérer l’usage d’une main ». En faisant le choix d’une telle introduction, Edouard Philippe entend sortir de la froide énumération statistique (3 500 morts / 72 000 blessés par an) pour rappeler que chaque accident est un drame humain qui endeuille des familles entières.

Sauver des vies
Vouloir inverser la tendance à la hausse de la mortalité routière enregistrée depuis 4 ans est donc une urgence. Le gouvernement a logiquement choisi de s’emparer de ce dossier au début de ce nouveau quinquennat, ce que personne n’oserait contester tant il semble urgent en effet de « sauver plus de vies sur nos routes » selon la base line de la communication du ministère. Reste à savoir si les moyens choisis pour y parvenir permettront d’atteindre l’objectif souhaité. Ce dont beaucoup doutent.

Vitesse rabaissée
Comme attendu (mesure n°5), la vitesse maximale autorisée va donc passer de 90 à 80 km/h à partir de juillet sur les 400 000 km de routes sans séparateur central. En s’appuyant sur la théorie de Nilsson et Elvik, le gouvernement espère sauver ainsi de 300 à 400 vies par an. Cette mesure, expérimentée depuis seulement 2 ans et sur seulement 81 km de routes, aurait donné des résultats probants d’après les autorités qui jugent toutefois utile d’instaurer une clause de rendez-vous au 1er juillet 2020 « afin d’étudier avec précision et objectivité l’impact sur l’accidentalité de cette mesure ».

Expérimentation évidemment probante mais néanmoins prolongée
L’expérimentation est donc, en quelque sorte, prolongée au niveau national, pendant 2 nouvelles années. Le coût du remplacement des panneaux sur l’ensemble du réseau sera assumé par l’Etat rassure le Premier ministre. Cette mesure éminemment impopulaire comme en attestent les nombreuses pétitions qui circulent à ce sujet est dénoncée par la FFMC (sa propre pétition a recueilli plus de 30 000 signatures à ce jour). Comme l’explique son chargé de communication Didier Renoux, « On cherche encore une fois à limiter les conséquences d’un accident plutôt qu’à empêcher qu’il ne survienne. Il faut à la fois agir sur l’éducation en incitant les usagers à avoir un comportement citoyen et respectueux d’autrui et se pencher sur l’entretien des routes si l’on veut réduire significativement la sinistralité routière. »

Durcissement des sanctions contre l’alcool au volant
La 11e mesure concerne la conduite sous l’emprise de l’alcool. Alors que les hypothèses évoquaient un abaissement du taux d’alcool à 0 g/l, le gouvernement a choisi d’imposer un éthylotest antidémarrage (EAD) aux récidivistes. L’obligation inepte de détenir un éthylotest traditionnel dans son véhicule est abandonnée au passage car « la faisabilité et l’efficacité de cette obligation ne sont pas avérées ». Les Motards en colère souhaiteraient que la question de l’alcool au volant soit intégrée au continuum éducatif. « Plutôt que de travailler en aval, en imaginant des solutions pour les récidivistes, il faut faire prendre conscience aux usagers que boire ou conduire il faut choisir pour reprendre le fameux slogan. Manifestement ce n’est toujours pas acquis puisque l’alcool est en cause dans 1/3 des accidents. En Angleterre, ce taux n’est que de 12%, ce qui prouve bien qu’un discours bien structuré est bien compris ».

Téléphone au volant, le grand flou
Autre chapitre abordé dans le cadre de ce CISR 2018, l’utilisation du téléphone au volant dans des proportions qui restent alarmantes. Comme l’a établi la Prévention Routière avec une enquête d’observation menée début 2017 « 4 conducteurs sur 10 utilisent leur téléphone au volant en main et près d’un tiers pianote ». Un phénomène que les motards connaissent bien, à la fois pour être très exposés à ce risque et pour l’observer quotidiennement, notamment en remontant les files de voitures. La mesure n°13 de ce CISR prévoit de retenir le permis de la personne qui a le « téléphone à la main et commet simultanément une infraction menaçant la sécurité d’autrui ». Le Premier ministre a cité le cas d’un usager qui tourne en téléphonant et en oubliant de mettre son clignotant.

Non mais allô quoi !
Outre la difficulté qu’il y aura à constater – et donc à verbaliser - ce genre de double infraction, la FFMC déplore ici encore que le gouvernement ait choisi de punir une fois l’infraction commise plutôt que d’éduquer les usagers pour éviter qu’ils ne commettent ladite infraction. « Ce CISR ne travaille qu’en répression alors que nous savons, par expérience, que l’éducation porte ses fruits. C’est ce que nous constatons avec les commission ERJ ou encore les formations post permis réalisées par l’AFDM ».

Colère & mobilisation
Certaines antennes départementales de la Fédération des motards en colère ont déjà choisi de se mobiliser pour dire leur opposition à ces décisions gouvernementales. Les Motards en colère craignent qu’elles ne soient que de faible portée en termes de sinistralité routière mais qu’elles ne provoquent une multiplication des contraventions, notamment pour petits excès de vitesse sur les routes nouvellement limitées à 80 km/h. D’ailleurs le gouvernement compte déjà sur ce « surplus de recettes perçues par l’Etat lié à l’abaissement des vitesses maximales » pour améliorer la prise en charge des victimes d’accidents de la route. Moralité, plus vous serez infractionnistes, mieux les blessés seront pris en charge !
Cette accumulation de mesures à forte dominante répressive risque fort de ne pas s’attirer l’adhésion des usagers, corolaire pourtant indispensable à toute politique sérieuse et efficace de sécurité routière.

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