Dans un « comparo » classique, il s’agit de mettre en balance des machines concurrentes et contemporaines sur un même segment de marché. Mais dans le cas qui nous intéresse, plus de trois décennies séparent ces deux motos issues du même constructeur, et il est plutôt question de savoir ce que nous ont apporté ces années. Maturité bénéfique ou consensus mou aseptisé ? La Ténéré est-elle un organisme génétiquement modifié ou une magnifique croissance élevée aux bons grains ?
Titi et Gros Mono
Au premier regard, la 500 affiche une taille de guêpe et un gabarit de 125 cm3. Compact, le gros mono est bien en évidence et la moto semble construite autour de ce point. En y regardant de plus près, l’ancêtre est généreuse en métal, et la chasse aux kilos ne devait pas préoccuper les ingénieurs !
En revanche, certains petits détails sont révélateurs du soin apporté à la réalisation. La présence de graisseurs, par exemple (roulements de roue arrière, pédale de frein). Enfin, le kick chromé se détache du moteur noir mat, comme pour en souligner l’importance...
La Ténéré, elle, ressemble à une moto de rallye, haute sur pattes et plutôt agressive. Génération plastique, le dernière-née en propose à tous les étages, du sabot jusqu’au gros réservoir (24 litres). Là où la 500 semble fière de son moteur, la 660 expose d’abord une partie-cycle dans laquelle le propulseur est dissimulé derrière le plastique. Cependant, quelques éléments se détachent de ce tour d’horizon, comme le bras oscillant en alu noir, les tubulures d’échappement en inox, ou encore le double disque avant. Quant à l’esthétique, les courbes classiques sont abandonnées au profit des coups de crayons style manga. Avec sa hauteur de selle contenue (830 mm), enfourcher l’ancienne est chose aisée. Le large guidon, caractéristique de l’époque, contraste avec l’étroitesse de l’engin, et plus particulièrement avec ce petit réservoir (8,5 litres),
qui semble perdu devant la selle épaisse. Mais avant de rouler, il va bien falloir se décider à démarrer le « gromono » !
Moteur !
Contact entre le compteur et le compte-tours rond, à l’ancienne. Starter au carbu, recherche du point mort haut avec le kick (ça comprime). Le lève-soupape au guidon aide à passer la compression, mais pas plus. On ramène le kick tout en haut, en relâchant le lève-soupape, puis on savate jusqu’au repose-pied (pour bénéficier du système anti-retour de kick...). Poum poum poum, la roue avant bouge, les rétros ont la tremblote, ça vibre de partout, bref, tout va bien ! Bien entendu, en ce qui concerne la Ténéré, le cérémonial est différent. Il suffit de presser le bouton, et injection plus démarreur se débrouillent pour faire craquer le moteur dans un staccato aux sonorités d’inox. Il s’agit ensuite d’escalader la sauterelle (895 mm) ! Le creux de la selle offre une confortable assise, sur laquelle il sera toutefois difficile de varier la position. Malgré la contenance du réservoir, le pilote ne se retrouve pas trop en arrière, et la triangulation fessier/guidon/ repose-pieds rappelle les machines tout-terrain. Compte-tours analogique et compteur numérique offrent une bonne lisibilité, mais semblent perdus derrière le saute-vent vertical.
Ça roule !
En action, la maniabilité légendaire des trails est au rendez-vous, mais la hauteur est handicapante en évolution lente. Pas uniquement pour les petits, car la répartition des poids se fait également vers le haut et confère à la machine une légère tendance survireuse, caractéristique qui échappe totalement à la 500. Au guidon de la Ténéré, le (peu esthétique) saute-vent se révèle efficace pour protéger la poitrine. De même que les excroissances au niveau des genoux. Ces éléments, alliés au souffle du moteur, font qu’il n’est pas indécent de croiser sur l’autoroute. Bonne surprise pour une machine qui vise la polyvalence. La tenue de route est sans reproches, même lorsque le rythme s’accélère. Les freins faciles à doser et suffisamment puissants deviennent alors des alliés de choix. C’est sans doute là l’évolution la plus marquante entre la jeune et la vieille ! En effet, la 500 reste une machine saine.
Les prises d’angle sont faciles et sans mauvaises surprises. En revanche, la protection est nulle. La tenue de cap sur autoroute est plus floue, sans toutefois faire peur (de toute façon, cette moto n’a rien à faire là !). En revanche, le freinage, qui n’était pas pitoyable à l’époque, est aujourd’hui source de frayeurs... si l’on ne saute pas sur le sélecteur ! Le frein moteur du mono est en effet un allié à ne pas oublier ! Côté mécanique, la boîte de la Ténéré se révèle d’une douceur exemplaire, là où celle de la 500 demande une manipulation plus subtile. Ce qui est heureux, car la 660, à l’aise dans les mi-régimes, exigera plus rapidement un changement de rapports. Les montées en régime, sans être foudroyantes, ne sont pas ridicules pour un mono. Au-dessous de 2 500 tr/min, en revanche, les cognements rappellent à l’ordre. L’ancêtre sera également utilisée dans les mi-régimes, mais si les hauts régimes sont douloureux, se « traîner » à 2 000 tr/min fait partie du plaisir. Le moteur grogne alors avec naturel et reprendra des tours sans avoir à tomber une vitesse. Bref, moyens et hauts régimes pour la 660, bas et mi-régimes pour la 500. Avec une zone rouge à 6 500 tr/min, la XT croise à 110 km/h à 5 000 tr/min, régime auquel la Ténéré croise à 130 km/h (zone rouge à 7 500 tr/min).
Alors, mono ou mono ?
La 500 XT raconte de belles histoires à son cavalier. Les trépidations de l’unique piston secouent la viande et attrapent les tripes. Cette machine peut vous flanquer un sourire béat lors d’un trajet quotidien. Son passif, lourd de sous-entendus, vous propulse dans un monde parallèle. À son guidon, vous survolez les tracasseries des autres sans être le moins du monde concerné ! Ce qui peut apparaître objectivement comme un défaut est vécu comme un trait de caractère. Car du caractère, elle en a indéniablement, et il compense ce qui pourrait ressembler à des performances limitées. La Ténéré a perdu la rugosité de son aïeule, mais elle conserve l’aptitude au voyage en gagnant une place sur l’autoroute, ainsi que l’accès au tout-terrain pour peu que l’on compose avec son surpoids. Pour les sensations, les choses se passent plus dans la tête et relèvent plus des promesses. La capacité d’évasion est réelle, mais le caractère aux abonnés absents la rend avare en plaisir quotidien. Vous pensez qu’elle « n’a que de la gueule » ? À vous de faire en sorte que les promesses prennent vie... Chiche !
Un grand merci à Gilles Camy pour le prêt de sa XT 500

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Version papier :
- Retrouvez l’historique et l’essai de la Yamaha 600 XT qui fête ses 40 ans dans Moto Magazine d’avril 2013
- Retrouvez cet article dans le HS N° 13 « Spécial Motos Mythiques N° 3 »
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La moto des globe-trotteurs
La 500 XT a longtemps été la monture de prédilection pour parcourir les routes du monde. Des anonymes de tout poil ont partagé des tranches de vie en sa compagnie. Alors pourquoi ce choix ? Bien entendu, la fiabilité de cette machine bien construite est avérée et a été maintes fois prouvée. Sa réputation « d’increvable passe-partout » est largement répandue grâce aux rallyes africains. Mais l’autonomie d’une mécanique en matière de fiabilité reste toutefois limitée, et la XT possède un moteur simple – un cas d’école. Sans être un as de la mécanique, il suffit d’être méticuleux pour en venir à bout. Or, pendant un voyage au long cours, nul ne peut miser sur l’hypothèse de n’avoir jamais à intervenir.
Il s’agit également d’une machine qui conserve une « échelle humaine ». Son gabarit comme son poids permettent au pilote de la relever seul, de la sortir d’un bourbier sans l’aide d’un tracteur, ou encore de la charger, le cas échéant, sur une pirogue... Enfin, si les performances sont modestes, celles-ci ne sauraient être un critère essentiel aux yeux du voyageur, car qui va piano va sano ! Un exemple ? 54 000 km autour de l’Afrique, 14 mois de voyage !
La saga XT
XT. Deux lettres qui stimulent l’imaginaire comme les sonneries font baver les chiens de Pavlov. Capables d’évoquer l’aventure sur un trajet maison-boulot, elles ménagent le petit espace de liberté qui laisse croire que, par un matin cafardeux, il suffirait de se « tromper » de route pour partir pour de bon !
Entre le couteau suisse et le coutelas de Rahan, la famille XT lie l’utile à l’agréable, l’imagination au pragmatisme, le petit saint au petit diable qui sommeille... pour le plus grand bonheur de Yamaha et de ses chiffres de vente ! Ce mélange de monocylindre 4T, dans une partie-cycle apte à la route comme au tout-terrain, est une recette apparue il y a plus de trente ans avec la mythique 500 XT, qui fait aujourd’hui figure d’AOC !
À sa sortie en 1976, un mono suscitait déjà l’évocation du passé. Face aux espoirs de puissance et de technologie suscités par la 750 Honda Four, il semblait difficile de prédire un tel succès. Le moteur est simple (refroidi par air, allumage par rupteurs), mais soigné (ACT monté sur roulements). Le graissage par carter sec utilise le cadre en guise de réservoir d’huile. Mais le démarrage par kick n’est pas évident, ce qui, avec son caractère bien trempé, contribue à lui donner une réputation de « moto d’homme » ! Parallèlement à la sortie de la XT 500 ont lieu les premiers rallyes-raids en Afrique, par elle remportés. C’est le début d’une longue carrière, où les deux lettres deviennent synonymes de moto de baroudeur.
De 1976 à 1989, les évolutions sont limitées. En 1977, l’échappement ne passe plus « sous le moteur ». En 1980, le réservoir adopte l’alu, et la fourche un axe déporté. En 1986, le circuit électrique passe en 12 V. La décoration de réservoir change chaque année jusqu’en 1981, puis à nouveau en 1986. En 1989, une série spéciale particulièrement soignée (modèle SP) vient mettre un point final après 61 510 machines produites.
Fin 1981 apparaît la 550 XT, sur laquelle esthétique et technique sont très différentes. La suspension arrière est de type cantilever, mais les freins restent à tambour. Le moteur reçoit 4 soupapes, des balanciers d’équilibrage, un carburateur double corps et
un allumage électronique.
En 1983, la XT revendique son histoire africaine et devient la 600 Ténéré (type 34 L). La partie-cycle adopte un frein avant à disque, un mono-amortisseur, un réservoir de 30 litres et un radiateur d’huile. Le moteur, en revanche, est une évolution du 550, qui gagne en alésage et développe 43 chevaux.
En 1986 (type 1VJ) apparaît le démarreur électrique. Parallèlement à ces Ténéré, des XT sans gros réservoir ni radiateur d’huile sont également commercialisées (type 43 F).
En 1987, le modèle 2KF adopte un frein arrière à disque.
De 1990 à 1997, le type 3TB se distingue par un frein avant à double piston, des jantes qui troquent l’alu pour de la tôle chromée. Assagie au fil des ans, la baroudeuse devient machine des villes, maniable et économique, et appréciée des jeunes permis... Le fantasme
a pris une claque !
Le moteur en 660 cm3 apparaît dès 1991. Il équipe la XTZ Ténéré, qui adopte le refroidissement liquide et une culasse à 5 soupapes.
La 600 refroidie par air disparaît du catalogue en 2003. Les normes antipollution sonnent le glas de cette mécanique désormais trop archaïque.
Après une brève absence, la XT est de retour en 2004 avec le moteur de 660 cm3 à refroidissement liquide, mais avec 4 soupapes, l’injection électronique et des pots catalytiques.
2008 voit enfin la sortie de la petite dernière. Une Ténéré qui adopte une nouvelle partie-cycle, et propose une extrapolation du moteur 660.
En trente-deux ans, l’évolution du concept et des technologies porte ses fruits. Car objectivement, cette dernière mouture de la XT fait tout considérablement mieux que son ancêtre, mais prend 44 kg (à sec !) au passage... Certes plus efficace, elle a bel et bien perdu le caractère charmeur et unique de l’aïeule. Une donnée non quantifiable, mais pourtant réelle, à laquelle bon nombre d’entre nous restent prêts à succomber !