Auto moto : 240 km/h sur une route ouverte à tous, le délire !
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Auto moto : 240 km/h sur une route ouverte à tous, le délire !
Une piste auto moto pas comme les autres : le Nürburgring. Un endroit unique en son genre. Pas tout à fait une route, pas tout à fait un circuit. Moyennant finances, chacun peut y rouler comme sur une route ouverte sans limitation de vitesse et sans personne en face. Mais attention, pas tout seul. Une expérience hors normes dans la vie d’un motard !
À L’ASPI D’UNE PORSCHE
À 240 km/h, déjà dix kilomètres que nez dans la bulle je suis à l’aspi de cette Porsche GT3 en plaque allemande, sans parvenir à la déboîter. Pas simple, comme opération, sur une route étroite et bordée d’arbres. Surtout que ça accélère plutôt fort, une Porsche !
J’ai confiance, le gars conduit proprement mais je garde tout de même un peu de marge car le dernier gauche de cette enfilade rapide arrive à toute allure. C’est le moment ou jamais. Il effleure les freins, je soulage à peine, je rentre un rapport, je reste à gauche à la sortie et bingo ! Je le passe sur l’élan pendant qu’il réaccélère dans le raidillon qui suit. Sommes nous deux dangereux criminels ? Non. Pourtant, nous arsouillons sur une route « ouverte » mais pas au sens habituel du terme.
Nous roulons sur la NordSchleiffe au Nürburgring, une voie qui déroule son bitume étroit et vallonné sur 20,8 km entre les sapins du massif de l’Eifel en Allemagne, à deux pas ou presque de la frontière française.
En images
Légalement, la NordSchleiffe (littéralement « boucle nord ») est une « route à sens unique et à péage, dont la vitesse n’est pas limitée ». Un cas ! Le tracé initialement destiné en 1927 à la mise au point des voitures (et toujours utilisé par les constructeurs allemands) regroupe tous les profils rencontrés sur nos routes. Particularité : on y roule en même temps que les autres usagers , voitures, bus, camions, quads et bien sûr motos venues de toute l’Europe. Il n’existe pratiquement aucun dégagement ; pas question d’aller taquiner le dernier dixième de seconde. Compte tenu des différences de vitesse entre les véhicules, les règles sont strictes (nous sommes en Allemagne) et la prudence est de mise. D’autant qu’on a rarement le tracé en visuel sur plus de 150 mètres, y compris dans les parties les plus rapides, avalées à plus de 260 km/h.
GUIDE OBLIGATOIRE
Hors de question de se lancer directement sur un tel rythme. Pour un néophyte, le premier tour tourne généralement au calvaire : les bras douloureux à force d’être contractés, un œil en permanence sur le rétro pour surveiller ses arrières, l’impression d’être toujours à contretemps… Après deux tours plutôt laborieux, le retour sur le parking est plutôt mitigé. L’idéal est de se trouver un guide.
Lors de notre passage, cet homme providentiel eut pour nom Simon Byrne ; un Anglais qui a monté une sorte de Tour Operator des circuits d’Europe, et qui connaît le « Ring » comme sa poche. Après les présentations d’usage, il me propose de suivre son Aprilia sur un tour pour repérer les bonnes trajectoires. Il me guide en adaptant son rythme au mien, ni trop rapide, ni trop lent et ce faisant, je découvre mes erreurs des premiers tours : rester en milieu de piste à la sortie de la chicane de Eschbach, ne pas aller chercher la première corde de Adenauer Forst, etc. Un tour ainsi guidé permet d’en éviter bien d’autres inutiles (le temps, c’est de l’argent…) et de prendre des risques inconsidérés. Quand on est sur la bonne trajectoire, le reste vient tout seul au fur et à mesure que l’on mémorise le tracé.
Le reste est affaire de fluidité pour rouler vite et en sécurité. Vouloir forcer le rythme, c’est l’assurance, au mieux, de se faire une grosse frayeur – j’en ferai bientôt l’expérience plus tard en me prenant au jeu avec une autre CBR plus aguerrie aux finesses du circuit –, et au pire se « sortir » avec toutes les conséquences imaginables. C’est en fait au bout de 6 ou 7 tours que l’on commence à prendre la mesure de ce tracé complexe et des 73 virages qu’il compte et qui peuvent défiler (enfin !) à un bon rythme.
Autre intérêt d’une initiation en bonne et due forme : les conseils d’usage entre pratiquants : s’assurer que le véhicule qu’on suit vous a vu, observer une pause avant de la dépasser si elle ne s’est pas décalée sur la droite, reconnaître les habitués de ceux, nombreux, qui ne le sont pas. Mais ne jamais forcer le passage, quitte à mettre son ego dans sa poche. Outre le circuit lui-même, le grand attrait du Nürburgring, c’est sa population, les « Ringers ». Le parking d’accueil en témoigne. C’est un lieu de rassemblement international, une concentration hétéroclite de ce qui se fait de mieux en voitures et motos de sport : Porsche 911 et BMW M3 à profusion, Lotus, Caterham, Ferrari, TVR 500, MV Agusta, Ducati et hypersports en tous genres.
On vient se montrer, partager sa passion de la belle mécanique, mais aussi découvrir le potentiel de ces engins inadaptés pour la plupart aux conditions de circulation standard. La langue la plus courante est l’anglais. Les citoyens britanniques représentent en effet plus d’un tiers des Ringers. Belle motivation sachant qu’il leur faut traverser le Channel pour venir ! Le reste est composé d’Allemands, de Hollandais, de Belges, de Suisses et d’Italiens.
UN GOÛT DE MAD SUNDAY
Il n’y avait aucun autre Français ce jour-là. Étonnant, étant donné la proximité géographique. En parallèle, on trouve aussi une ambiance nettement plus racing avec des voitures intégralement préparées (arceau, moteur et châssis) et des motos en carénage de course, éclairage simplifié, pneus tendres type Promosport, qui font ressembler le parking secondaire d’Adenau à un paddock.
Ceux-là connaissent le Ring sur le bout de leurs pneus tendres, sont très rapides et pas toujours patients quand il s’agit de vous doubler… alors méfiance. Ce sont aussi de redoutables pilotes qu’il ne fait pas toujours bon d’aller chercher. Il s’en sera fallu de peu, pour avoir tenté le bras de fer avec une autre CBR, que l’affaire ne se termine au tapis au terme d’une glissade d’anthologie ! Après tout, Nicky Lauda himself y perdit le contrôle de sa F1 !
Sur la route du retour, une comparaison me vient naturellement à l’esprit : la Nordschleiffe est vraiment ce qui se rapproche le plus du Mad Sunday au Tourist Trophy, la course mythique sur l’île de Man. Même route rapide et étroite en sens unique, mixité auto/moto, absence de droit à l’erreur et nécessité absolue de trouver ses limites progressivement, sans les dépasser. Les mêmes sentiments ambivalents aussi : un équilibre précaire entre sensations fortes et peur de l’accident. Et une fois qu’on a goûté à ça…
l’AVIS DE…
Liz, roule en Fazer 600 « Parce que ça existe ! » Liz n’a pas hésité à faire la route depuis sa lointaine Écosse au guidon de sa moto pour découvrir le Nürburgring. Et quand on lui demande pourquoi, elle répond dans un style typiquement anglo-saxon : « Parce que ça existe ! » Pourtant, même entre les mains de Simon (voir encadré ci-contre), elle est tendue avant de prendre la piste. Elle y va parce qu’elle a fait tout le chemin pour ça, mais on voit bien qu’elle préférerait être ailleurs… Après une boucle complète, le sourire est de retour.
« Vraiment impressionnant, inimaginable avant de l’avoir vécu, je suis vraiment contente d’être venue ! » Mais de tempérer immédiatement : « Par contre, je ne le sens pas d’y aller seule, je ne vais pas assez vite. Je referais un deuxième tour ce soir juste avant la fermeture, quand ça sera plus calme. » 2 500 km aller-retour, 4 jours de congés pour 2 tours du Nürburgring, la passion ça doit ressembler à ça !
Y aller. Rejoindre Metz puis Luxembourg, puis Trier (Allemagne). Suivre ensuite l’autoroute en direction de Koblenz, sortir à Ulmen (46 km avant Koblenz) et emprunter la B257 vers le nord en direction de Adenau/Nurburg sur 18 km. Il faut compter 500 km à partir de Paris, essentiellement sur autoroute, soit 4h30 pause comprise. Y dormir. Il y a plusieurs hôtels dans les villes de Nürburg et Adenau, ou des chambres d’hôtes dans les environs tous centrés sur la passion des sports mécaniques. Compter environ 60 à 80 E par nuit. Y tourner. La moto doit être conforme au Code de la route. Le niveau sonore maxi toléré est 95 dB, avec des contrôles réguliers en cas de doute. Des stations-service sont à proximité des deux entrées du circuit. Compter entre 6 et 8 tours avec un plein.
Une bonne formule
Citoyen britannique fondu de moto sportive, Simon Byrne s’est mû pour faire partager sa passion en une sorte de Tour Operator des circuits. Il propose ainsi à ses clients – un groupe de 30 personnes de tous âges, essentiellement en sportive – de découvrir les différents circuits d’Europe, dont le Nürburgring une fois par mois entre mai et septembre. Le « package » clefs en main comprend les hôtels, repas, ferry mais aussi un roadbook sympa pour rejoindre le site. Un camion suiveur transporte bagages et motos en cas de problème. Simon met en avant la sécurité : « Le Ring n’est pas un circuit au sens habituel du terme. Ici, il faut toujours garder une marge, surveiller ses rétros et ne jamais doubler par la droite. » Avant de laisser les participants livrés à eux-mêmes sur le tracé, les deux guides leur montrent les trajectoires sur deux tours complets et par petits groupes de 3 ou 4. Chacun peut ensuite venir demander un conseil ou un tour guidé. Je ne peux que confirmer tout l’intérêt de cette formule pour découvrir la Norschleiffe dans les meilleures conditions. Tarifs : 520 € au départ de l’Angleterre. 395 € pour les lecteurs de Moto Magazine. Contact : www.byrne-up.co.uk
Précautions d’emploi…
Rouler au Nürburgring, c’est accepter de prendre des risques. Rien à voir avec un tour de manège à Disneyland. Les nombreuses interruptions pour accidents lors des week-ends les plus chargés (jusqu’à 2 000 départs !) en témoignent. L’organisation bloque en effet le circuit dès qu’il y a un accident, même bénin, pour éviter le suraccident. Beaucoup sont le fait de conducteurs seuls. On y côtoie en effet les mêmes dangers que sur route ouverte : variation d’adhérence, traces de terre, etc., et présence d’autres usagers. Mais même si certaines voitures (extrêmement rapides) n’ont pas toujours conscience des contraintes des motards, plus que le mélange auto/moto, c’est la différence d’expérience qui génère les accidents. Ne jamais faire confiance à un autre véhicule a priori. Moins on va vite, plus il faut regarder dans ses rétros. Autre souci : le mouillé. Les revêtements ne sont pas homogènes, et génèrent des variations brutales d’adhérence. Les Ringers expérimentés ne roulent d’ailleurs jamais sur le mouillé : trop lent pour se faire plaisir et trop risqué. Toutes ces mises en garde peuvent paraître angoissantes, mais il est possible de rouler raisonnablement en sécurité sous réserve d’avoir bien en tête ces trois règles d’or : vigilance (envers les autres), patience (pour doubler), conscience… que ce n’est pas un circuit. Enfin, il faut savoir s’arrêter entre chaque tour, au moins le temps d’enlever le casque et les gants pour laisser le physique se reposer et l’adrénaline retomber. Pour résumer, la Nordschleiffe exige beaucoup d’humilité. C’est une aventure personnelle, et non l’endroit pour se mesurer aux autres. Les circuits modernes sont nettement mieux adaptés pour évaluer ses capacités de pilote. Dans cet esprit, c’est une erreur lourde que de chercher à se chronométrer sur un tour pendant les sessions publiques. Les commissaires rapportent qu’il est fréquent de trouver des chronos en train de tourner sur les motos accidentées. Il faut savoir enfin que chaque accident génère la rédaction d’un constat. Pour les accidents corporels, la police mène une enquête pour déterminer les responsabilités comme pour un accident de la route classique.