De Douvres à l’île de Wight via Brighton, Portsmouth et Southampton. Un bras de mer nous sépare et tout semble si différent ! Oubliez Londres et l’Eurostar, enfourchez vos motos ou scooters et partez à la découverte de la côte sud de l’Angleterre. Let’s go !
Le tourisme moto n’exclut pas la fantaisie… À l’heure de gagner la côte anglaise de Douvres à Southampton, pour vous convier à un exotisme à quelques encâblures de l’Hexagone, nous avons eu l’idée – influencés par l’album « Quadrophenia » des Who – de rejouer l’affrontement des mods contre les rockers qui défraya la chronique de ce coin du Royaume-Uni dans les années 60. Les mods étaient de jeunes prolos qui dépensaient leurs économies en costumes italiens, carburaient aux amphétamines et roulaient en parka sur des scooters Vespa ou Lambretta, quand ils ne dansaient pas jusqu’à l’aube sur des hits de rythm’n’blues. Les rockers, plus virils, se la jouaient « équipée sauvage » en jeans et blouson de cuir sur leurs motos anglaises et écoutaient Gene Vincent ou Eddie Cochran en buvant de la bière. La station balnéaire de Brighton, à 60 km au sud de Londres, était souvent, en fin de semaine, le théâtre d’affrontements entre ces deux factions érigées en modes de vie. Queues de billard contre chaînes de vélo, bourre-pifs et coup de tatanes coquées... La jeunesse savait s’amuser en ce temps-là !
En images
C’était en tout cas l’exaltation d’une volonté de puissance teenager qui s’affirmait après la grisaille des années d’après-guerre et la reconstruction de l’Angleterre. Un peu plus tard, l’hédonisme du Swinging London et le début du psychédélisme, associés à une qualité de vie en nette amélioration, viendront adoucir les mœurs de ces britanniques peuplades.
Et maintenant Alors, quelques 35 ans plus tard, de Dom « The Mod » ou de Stephen « The Rocker », de la mèche blonde ou des rouflaquettes, du jeu de jambes ou des biceps, qui l’emportera ? Dans ce pays de bookmakers, les paris sont ouverts… En tout cas, pour rejouer cette portion d’histoire, deux montures s’imposaient : un scooter italien et un twin anglais, comme à la belle époque. Nous sommes donc partis sur un Vespa 300 GTS et une Triumph Bonneville. Amore rosso contre good vibrations, cœur de rocker ou bopper en larmes, une chose est sûre, notre devise commune était : « Let’s go and keep on rollin’ » ! Illustrations dans ces pages…
Terre d’histoire(s) The white cliffs of Dover… Les falaises blanches de Douvres. Pour nous, Français enfants de l’Occupation, cette ligne sur l’horizon entrevue du ferry évoque la belle et symbolique éclaircie qu’a représenté la victoire de la bataille d’Angleterre par nos voisins au cours de l’été 40. Une fois débarqué dans ce havre de paix, on apprécie la vue du château perché sur ces vertes collines avant de gagner, à quelques kilomètres à l’ouest, le mémorial de la Royal Air Force de Capel-le-Ferne. Là, dans un amphithéâtre livré au silence face à la mer, on a tout loisir de méditer sur la phrase de Winston Churchill, dédiée à ceux qui ont combattu : « Jamais une multitude n’a dû son salut à un aussi petit nombre. » On pense aussi à Kate Bush, éternelle petite fée britannique, avec sa chanson « Oh, England, My Lionheart » évoquant un pilote tombant d’un Spitfire en flammes vers les bras de sa rose d’Angleterre.
On s’arrache à ces rêveries passéistes pour rejoindre le port de Folkestone aux pimpantes embarcations. Plus loin, dans un paysage de prés salés piqués de blancs moutons, on retrouve ce charme paisible à nul autre pareil de la campagne anglaise, comme sorti d’un roman de Thomas Hardy ou d’une toile de Gainsborough. Nous entrons dans le pays de 1066. Cette étonnante appellation régionale est basée sur une date commémorant la bataille de Hastings qui vit la victoire de Guillaume le Conquérant, le seul à avoir réussi à débarquer en Angleterre : ni Napoléon ni Hitler n’ont réussi à faire de même.
Le vertige des corniches À l’approche du soir, nous arrivons dans la charmante bourgade de Rye avec ses magnifiques rues médiévales pavées de galets et, plus loin, le long d’un chenal, un étonnant port aux allures de bayou. Une très belle halte-étape avec des auberges où l’on peut déguster le « fish stew » local, un méli-mélo de poissons bienvenu après toutes ces émotions. Le lendemain, en suivant la route de corniche très agréable de l’A259, entre prés salés à droite et remblais sur la mer à gauche, nous découvrons, baignée de soleil, l’importante station balnéaire d’Eastbourne où d’aimables retraités jouent au cricket sur le front de mer. Dès la sortie, l’impressionnante falaise de Beech Head constitue un lieu de randonnée pédestre envoûtant. Pour l’anecdote, c’est ici que fut tournée, en 1979, la scène du scooter pour le film « Quadrophenia », inspiré de l’opéra rock du même nom.
Brighton Rock En parlant de mods, on se retrouve rapidement, après une portion d’autoroute, à Brighton et sur son célébrissime « Pier », vaste jetée sur pilotis couverte de baraques foraines au-dessus desquelles crient des mouettes. Le front de mer abonde en bars et terrasses pittoresques, et les peaux laiteuses rosissent sur les galets en attendant de s’adonner au nightclubbing hédoniste. Autres temps, autres mœurs. Les rockers ont disparu, et notre parka détonne sous le soleil de juin…
Scoot’s toujours Des rassemblements de scootéristes ont pourtant encore lieu, comme celui de Christchurch, très couru. Dès potron-minet le lendemain, nous nous dépêchons d’attraper le ferry à Portsmouth – à l’impressionnante tour en forme de voile, la Spinnaker Tower – pour cingler, en une demi-heure de traversée, vers l’île de Wight, célèbre pour son festival rock de la mi-juin. Un festival qui fut porté à la connaissance du monde en 1970 avec, entre autres, les concerts mémorables des Who et de Jimmy Hendrix. À noter : les traversées pour cette île s’effectuent indifféremment de Portsmouth ou de Southampton.
Une fois sur place, on goûte le parfum d’évasion et d’exotisme qu’offre ce séjour, avec ce sentiment privilégié de faire partie des « happy few », le rituel de l’embarquement et l’étape de la traversée constituant en eux-mêmes une sorte sas à travers une bulle temporelle. De fait, l’île de Wight, losange d’environ 40 km de longueur, offre une jolie boucle pour une excursion motarde, alternant des paysages variés entre marais et réserves d’oiseaux à l’ouest, des panoramas exaltants comme la pointe des Needles ou la vaste échancrure en grandes courbes de Sandown Bay au sud-est, et l’ambiance délicieusement victorienne d’une bourgade comme Ventnor, sans oublier le charme portuaire de Cowes avec son bac à chaîne assurant la navette vers ses nombreux bars…
Vespa contre Bonnie Sur cette île tout en contrastes, la Triumph Bonneville, plutôt saine en tenue de route et dotée d’un twin à la rondeur appréciable, pèche toutefois par ses amortisseurs trop raides qui nuisent au confort. Le Vespa 300 GTS, très appréciable en conduite touristique pour la facilité qu’il procure à s’arrêter et à se reprendre aisément, souffre, lui, d’un manque d’autonomie par son réservoir trop petit. Par ailleurs, pour un 300 cm3, sa vitesse de pointe s’avère plutôt limitée. Il n’en reste pas moins un étonnant véhicule de tourisme, générant en outre un capital sympathie des plus agréables chez nos amis britanniques.
Le coup de Trafalgar Après cette exploration de la mythique île de Wight, retour par Southampton pour découvrir le merveilleux musée motocycliste de Sammy Miller (voir « Les trésors de l’Oncle Sam ») et, le lendemain, nous regagnons Portsmouth, où nous terminerons cette virée par une journée consacrée à la découverte de l’impressionnant musée maritime installé le long des docks dans le centre historique (voir « Pratique »). Nous n’y manquerons pas la visite édifiante du HMS Victory, le trois-mâts de l’amiral Nelson qui défit la flotte napoléonienne à Trafalgar avant qu’il ne s’écroule, victime du coup d’escopette d’un marin français. Deux siècles plus tard, sans rancune, messieurs les Anglais ? En tout cas, ne tirez pas les premiers, car on a adoré séjourner chez vous !
Michelin n° 504, série Regional Grandede-Bretagne / South East England, Midlands, East Anglia Guide du routard Angleterre, Pays de Galles (Hachette) Guide Vert Angleterre, Pays de Galles (Michelin)
Météo
Non, il ne pleut pas toujours en Angleterre. Et le charme de l’English summer sur la côte sud n’est pas un vain mot. La preuve : à peine avons-nous subi une ondée en une semaine en juin. Allez-y, on vous dit ! Prévisions : http://fr.weather.yahoo.com/europe/angleterre/
L’état des routes
On ne le redira jamais assez : à chaque fois que vous prenez le guidon, attention à bien emprunter la voie de gauche. Il vous arrivera forcément une étourderie à un moment. À la limite, scotchez un avertissement tel que « Attention, rouler à gauche ! » sur votre guidon ! Par ailleurs, avec des statistiques d’accidentologie bien inférieures aux nôtres, le conducteur britannique tend à se poser en modèle. Seule réserve : l’automobiliste local n’apprécie pas forcément les changements de file inopinés des motards. Restez donc fair play et sur vos gardes. À part ça, le réseau routier est bien entretenu et la signalisation efficace.
Manger/Dormir
Oubliez vos a priori de Français condescendants ! On mange très bien en Angleterre et à toute heure de la journée, contrairement à l’Hexagone. Dans les auberges au bord des routes ou dans les pubs, on trouve toujours un décor cosy et convivial, à l’image du service. À ne pas louper, la tradition dominicale du roastbeef, un must familial ! Les prix sont plutôt inférieurs à ceux de la France à qualité équivalente, le cours de la livre par rapport à l’euro nous étant favorable depuis quelque temps. Enfin, pour les amateurs de houblon, la boisson nationale, la pinte de bière, est au prix d’un demi chez nous. À consommer avec modération, tout de même, et seulement après le roulage ! Hôtel George in Rye. Un hôtel de charme au cœur de la cité médiévale de Rye, avec ses rues pavées et son petit port de pêche. « Lovely ! » Très belles chambres et accueil familial. 98 High Street, Rye - +44 (0)1 797 222 114 – www.thegeorgeinrye.com Albert Cottage Hotel - 2 East Cowes, Isle of Wight. Au-dessus du port, ambiance de manoir très chic. [www.albertcottagehotel.com - > www.albertcottagehotel.com] The New Steine Hotel - 10, 11 & 12a New Steine, Brighton, BN2 1PB - +44 (0)1 273 681 546 - Accueil très sympathique dans cet établissement tenu par un Français. Idéalement situé à côté du célèbre « Pier », dans une rue calme. Excellent petit déjeuner. www.newsteinehotel.com
Adresses utiles Maison de la Grande-Bretagne - 19, rue des Mathurins 75009 Paris - 01.44.51.56.20 - Fax : 01.44.51.56.21 – [www.visitbritain.fr - www.visitbritain.fr]
À voir/à faire Le musée maritime de Portsmouth. Installé dans le quartier des docks en centre-ville, il s’agit d’un véritable village muséal, must de pédagogie historique et de divertissement culturel pour grands et petits. De quoi occuper une journée entière en famille ou entre amis pour un prix modique. De la visite incontournable du vaisseau HMS Victory de l’amiral Nelson magnifiquement reconstitué dans ses moindres détails au tour du port en navette pour découvrir les bateaux de guerre actuels et les nombreux bâtiments dédiés aux différentes époques de la marine (voile, vapeur, etc.), avec de magnifiques reconstructions, peintures ou vidéos, on mesure à quel point l’Angleterre est fière de son patrimoine maritime ! Indispensable. « Good job, lads !* » (« Beau travail, les gars ! »). Tous les jours de 10 h à 17 h. www.historicdockyard.co.uk
À lire « Le rocher de Brighton », Graham Greene (10/18). Le gangster Pinky échappera-t-il aux lames de rasoir de ses rivaux et trouvera-t-il la rédemption dans la vie ordinaire ? Un roman de 1938, façon polar, bien plus profond qu’il n’y paraît, connu de tous les Anglais et resté toujours aussi troublant, par l’un des auteurs du XXe siècle les plus adaptés au cinéma. « Brighton Rock » a ainsi fait l’objet d’une adaptation filmée en 1947.
À écouter Album « Quadrophenia », The Who. Avec ce concept (sur le thème d’un ado mod à Brighton), le rocker Pete Townshend entend prouver qu’il est le meilleur auteur anglais toutes catégories confondues. Malgré l’excellence de la concurrence, pari quasi gagné ! Album « A Night At The Opera », Queen (et notamment les chansons « Seaside Rendez-vous » et « Lazing on a Sunday Afternoon », ainsi que « Brighton Rock » dans l’album « Sheer Heart Attack »). Ambiance surannée de bains de mer et harmonies d’orphéon mâtiné de rock opératique, une chose est sûre : on ne peut pas, dans les années 70, reprocher au groupe Queen de ne pas être « so British » ! Une quintessence de second degré et de savoir-faire musical, mêlée d’une inévitable fibre nostalgico-nationaliste.
Les trésors de l’Oncle Sam
Champion légendaire de trial et de vitesse, Sammy Miller, 76 ans, dirige aujourd’hui un musée qui regroupe l’une des plus belles collections au monde de machines de course et de prototypes. « Il s’agit un hobby qui a pris le dessus, une passion d’enfant qui m’occupe sept jours sur sept », explique Sammy Miller en riant à propos de l’impressionnante collection rassemblée dans son musée. également prestigieux metteur au point, il a été élevé en 2009 au rang de MBE (Member of the British Empire) pour « sa contribution au patrimoine motocycliste ». Situé près de Southampton, le Sammy Miller Museum est logé dans l’élégant cadre de Bashley Manor, un corps de ferme restauré. Ouvert tous les jours de 10 h à 16 h 30 (tea time oblige !), le musée abrite pas moins de 375 machines. Chacune d’elles est parfaitement restaurée après un séjour à l’atelier attenant, auquel Sammy Miller consacre le plus clair de son temps. « Il passe également beaucoup de temps au téléphone pour retrouver des pièces ou des hommes capables de fabriquer ces pièces », explique Bill, l’administrateur du musée. La vocation du lieu est de regrouper des machines de compétition mythiques, mais aussi des prototypes choisis pour leur rareté et leur intérêt technique De nombreux modèles sont uniques au monde, comme celui que Sammy appelle en riant la « Mona Lisa » : l’AJS 500 V4 turbocompressée de 1939, seul exemplaire en état de marche actuellement recensé sur la planète et monument de technologie avant-gardiste. Avec moult Norton, Triumph et bien d’autres marques illustrant le potentiel technique d’une industrie nationale disparue, l’Angleterre est à l’honneur. Et autour de ces motos, de nombreux objets – casques, affiches, revues, etc. – contribuent à restituer un fabuleux passé motocycliste.
Bashley Cross Roads, New Milton - Hampshire BH25 5SZ, Royaume-Uni - +44 (0)1 425 620 777 – www.sammymiller.co.uk
Lonesome rider
Rencontré à la terrasse d’une sympathique auberge sur l’île de Wight et abordé sur la foi de sa vénérable F 650 GS équipée façon baroud, Mark Robinson a traversé le continent américain du nord au sud, de l’Alaska à la Patagonie. Habitant Brighton, ce jeune globe-trotter n’avait paradoxalement jamais posé ses roues sur l’île de Wight toute proche. Comme quoi, on passe parfois à côté de ce qui nous entoure…