Hangars à bricoles

En un vallon ensoleillé se niche la demeure du signore Constantino Frontalini. Une banderole souhaite, en anglais, la bienvenue au musée. Sinon aucun indice, vu de la via Valcarecce, n’indique l’existence à quelque pas de tant de véhicules extraordinaires. A peine devine-t-on des hangars évoquant plus l’exploitation agricole que la muséographie. C’est pourtant bien en ce séjour campagnard que réside la collection Frontalini.

« Les motos sont stockées pour l’hiver. » Quelques attelages, sortis pour faire un peu de maintenance, tels ce rarissime Neracar et cet épatant Maico Mobil attelés, augurent bien de l’inventaire. À deux pas, un scooter Guzzi Galetto appairé à un side en osier, gréé en char fleuri, affûte encore l’appétence. « Sa propriétaire participait à des concours d’élégance », explique Constantino. Les portes s’ouvrent, et là, le passionné d’histoire en a la flûte coupée. Autour des trente motos du cinéma, s’accumulent une soixantaine d’attelages complets, une trentaine de paniers attelables et nombre de curiosités.

« Durant des nuits, chercher qui a inventé le side-car m’a empêché de dormir ! » Constantino voue son existence, depuis plus de vingt ans, à cette collection particulièrement originale. Et, en bon historien pisteur, ce chineur de Constantino l’a peut–être bien trouvé, ce sacré premier side, attelé en 1885 aux USA par Alexander Kirk à un vélo « grand bi inversé » de marque Star. Cet assemblage surprenant comporte un pédalier pour le « singe » et un pour le pilote.

Détailler par le menu chacun des trésors accumulés ici n’en finirait pas. Militaires, utilitaires, touristes, sportifs de tous types, banals, incongrus, futuristes de diverses époques, attelés à des motos, des scooters, des bicyclettes même… Le contenu de ces hangars procède d’une véritable recherche encyclopédique. Chaque attelage raconte l’histoire de la passion et du savoir faire des hommes. Ceux d’hier qui les ont créés et utilisés, ceux qui aujourd’hui à Cingoli les ressuscitent et les conservent.

Ateliers d’artistes

Plus loin dans la vallée se trouvent les ateliers où officient Giulio, Luigi et l’apprenti d’origine ukrainienne Genadi Balakaï. Mécaniciens, soudeurs, chaudronniers plasturgistes, menuisiers, ils seraient ailleurs qualifiés du terne vocable de « personnel technique ». Ce sont ici des polytechniciens au sens le plus littéral du mot, des artisans appréciant l’art, sous toutes ses formes. Luigi aime voyager : « La plus belle capitale du monde est Paris. » Il y est resté une semaine… « Mais c’est beaucoup trop court : j’ai déjà passé quatre jours a visiter la section égyptologique du Louvre ! »

Bois, cuir, métaux, résines, pour respecter l’authenticité tous les matériaux employés depuis les premières lunes de la moto et du side-car sont travaillés par ces mains d’or... Tous, sauf le verre, mais l’omnipotent Giulio a tout de même conçu un moule reproduisant les catadioptres rouges introuvables des anciennes motos. « Une entreprise spécialisée dans les souvenirs religieux nous les refait. » En Italie, la débrouillardise est un véritable sacerdoce. Foin d’outils ultra modernes et sophistiqués, l’intelligence et l’habileté manuelle viennent à bout de tous les défis.

N’existant plus qu’en image ou impossibles à obtenir pour le musée, les motos les plus incroyables du cinéma peuvent même ici renaître en quelques mois. La réplique « made in Cingoli » de la moto du film Burt Munro (Indian Fastest) est un exemple marquant. Il ne s’agit plus là de scénariser un véhicule de série, mais de reproduire de A à Z le modèle unique ayant servi au tournage.
La copie de la machine du film Ghost Rider est actuellement en gestation dans le garage personnel de Giulio. Véritable plasticien copiste, ce dernier sculpte le polyuréthane expansé et la pâte à modeler pour reproduire, au poil de dragon en polyester près, l’inextricable bestiole.

Dépourvus de tout snobisme, Constantino et son équipe consacrent autant de temps aux motos des plus redoutables navets, qu’à celles d’œuvres majeures comme Easy Rider. Les engins les plus spectaculaires appartiennent hélas rarement aux scénarios les plus intelligents.

Le nerf de naguère

Acquérir, restaurer, recréer, se documenter… en bref collectionner est bel et bon, mais tout ce petit monde ne vit pas que de passion motocycliste et des excellents vins du cru. La location des expositions ambulantes ne suffisant pas toujours à boucler les fins de mois, les génies mettent la main au panier pour les particuliers.

L’amateur motivé peut donc se procurer ici des répliques homologuées de side-cars d’époque pour scooters Vespa ou Lambretta, et des « carrozzinis » Frontalini classiques ou modernes, des créations « maison » attelables à toutes sortes de machines comme des Guzzi California ou des Goldwing.

L’un des derniers attelages, un side-car néo-rétro pour l’actuelle Triumph Bonneville est tout simplement magnifique. Nous l’aurions bien empruntée cette Bonnie attelée, afin de vagabonder plus avant sous la lumière si douce de cette superbe contrée... mais elle appartient en fait à un concessionnaire Triumph de la région. Et puis il n’est de lieux et de gens si passionnants qui ne se quittent pour mieux les retrouver un jour, lors d’une de ces superbes expos dont il ont la maîtrise. Ou lors de l’essai d’un attelage, peut-être.

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