C’est du lourd
Première épreuve, redresser le bestiau penché sur sa béquille latérale... Ouch ! Pour les courts sur pattes dans mon genre, faut y aller d’un bon coup de reins. Non pas que la selle soit très haute, mais elle est large et la BFG accuse quand même près de 290 kg en ordre de marche. Jetons un œil derrière l’immense carénage pour se familiariser avec l’instrumentation, les commandes au guidon étant tout ce qu’il y a de plus standard.
Dans le grand bloc compteurs issu de la Renault 5 Alpine figurent tachymètre, compte-tours et tous les voyants : la BFG se plaçait au top niveau de ce qui se faisait de mieux à l’époque dans le segment des GT ultra-équipées.
On y trouve en plus une batterie de commutateurs, vestiges de ses débuts dans la police, équipés des feux bleus et de la sirène, lesquels ont été démontés quand madame s’est retrouvée dans le civil. Le contacteur à clé est placé à gauche dans le carénage, la mise en route se fait à la cocotte droite.
Un coup de pouce sur le bouton, et le gros démarreur de type automobile fait entendre un halètement lymphatique, suivi de celui du quatre-pattes qui s’ébroue dans un balancement latéral typique des moteurs à cylindres à plat opposés et vilebrequin longitudinal.
Les pots laissent échapper un grondement sourd plutôt sympa, tandis que devant les guibolles, c’est un concert de chuintements de courroies (distribution et alternateur), qui donnent le contralto à l’admission façon baryton, le tout ponctué par le tintement discret des culbuteurs. Le levier d’embrayage à commande par câble est très doux, tout comme l’enclenchement du premier rapport, qui ne se fait absolument pas sentir.
On sait juste qu’il est « passé » grâce à l’extinction du témoin « N » au tableau de bord. En revanche, l’attaque de l’embrayage monodisque à sec est brutale et immédiate, mais n’oublions pas qu’il a été conçu, à l’origine, pour arracher la tonne de la Citroën. Le quatre-cylindres aussi, d’ailleurs, et ça se sent ! 10 m.kg de couple à 3 500 tr/min, ça pousse sans que l’on ait besoin de tordre la poignée de gaz. À la manière d’une BMW de l’ancienne génération, le cul de la moto se lève à l’accélération. L’avant devient léger et le poids disparaît comme par enchantement dès que ça roule.
Malgré le large guidon de GT, la position est un peu basculée sur l’avant en raison de la longueur du réservoir, dont les angles vifs vous obligent à reculer sur la selle : la BFG est une moto faite pour les grands. Un, deux, trois, quatre, cinq, les rapports passent comme un enchantement, précisément et fermement malgré un débattement important du levier.
L’excellente protection du carénage gomme totalement l’impression de vitesse, tout comme l’inertie de la mécanique, qui continue à pulser sans faiblesse...
Tiens, déjà 90 km/h et je ne suis qu’à 3 500 tr/min ! La route se dégage, voyons un peu... 120, 130, et l’aiguille du compte-tours se balance mollement à 5 000 tr/min, avec à peine 300 tours de mieux à 150 km à l’heure. La tenue de route est bonne : un peu molle eu égard au poids important de l’équipage et de l’usure des suspensions, mais tout reste sain, sans répercuter la moindre ondulation ou le moindre frétillement du croupion.
En courbe, la BFG accepte la mise sur l’angle sans réticence, mais là encore, vu le poids en mouvement, il faut la tenir en contre-braquant fermement et ne pas hésiter à mettre du gaz pour la relever.
Et les freins ? Un peu juste compte tenu de nos références actuelles, mais à l’époque, ils devaient hisser la BFG au rang de ce qui se faisait de mieux chez les grosses cylindrées. Normal, me direz-vous, puisque l’on retrouve les disques fonte pincés par des étriers Brembo à deux pistons opposés qui équipaient les Guzzi et les Laverda, alors considérées comme les meilleures freineuses de leur génération.
Une fois convaincu de l’excellente prestation dynamique de la BFG, reste à analyser le comportement du moteur...
Tout pour le couple
Là, on rentre dans l’étrange, dans l’inhabituel. Ce gros plein de muscles semble se foutre complètement de votre envie de prendre des tours, comme s’il avait décidé, une fois pour toutes, de faire son boulot sans se fatiguer.
Les montées en régime sont longues. Autant ce moteur savait se montrer rageur sous le capot d’une Citroën GS poussée dans ses derniers retranchements, autant il se prélasse à son rythme dans le cadre de la BFG. Ce n’est pas désagréable, mais ce n’est pas exactement ce que l’on attend d’une moto. Comme un moteur de deux-roues, notre quatre-cylindres à plat de 70 chevaux est un super-carré à simple ACT... Mais, conçu au départ pour une automobile de tourisme, il est alimenté par un unique carburateur à double corps monté sur de très longues pipes d’admission ; pourvu d’un volant moteur énorme, il présente donc des caractéristiques favorables à la souplesse et à un couple important à bas régime.
Et la BFG a beau être lourdasse, elle pèse quand même 700 kg de moins que la GS, permettant ainsi au moteur de s’affranchir de toutes les allures en restant sur le dernier rapport.
En « tapant » volontairement dans les intermédiaires, la bougresse accélère quand même jusqu’à accrocher une vitesse de pointe fort honorable de 190 km/h.
Ça pousse en continu sans jamais donner de coup de pied au cul. En corollaire de ce comportement atypique, le frein moteur se fait attendre quand la conduite devient vive, l’équipage mobile manifestant la même lenteur à redescendre à bas régime qu’il en avait mis à grimper au septième ciel.
Le point fort de la BFG, c’est le souffle et l’endurance. Ceux qui pensent que cette moto se traîne en seront pour leurs frais, mais force est de constater que c’est en « enroulant » qu’elle donne le meilleur d’elle-même.
En fait, elle évoque un peu la BMW K 100 LT par le caractère linéaire (limite ennuyeux) de la mécanique, en plus lourde. En revanche, elle fait mieux côté douceur de transmission. Quant à la maniabilité, c’est encore un motif d’étonnement.
Non seulement elle tient bien la route et sait prendre de l’angle, mais en plus, elle se joue des demi-tours grâce à un rayon de braquage extrêmement court, en dépit de son gabarit et d’un empattement assez long.
Au terme de cet essai, une chose est sûre : aussi modestes soient-ils, les concepteurs de la BFG savaient parfaitement ce que doit être une bonne moto de tourisme. S’il ne fallait juger que sur des critères d’efficacité mécanique et dynamique, leur produit n’avait pas à rougir face à la production japonaise et européenne d’alors.
Reste ce poids énooooooorme à l’arrêt, cette finition qui évoque davantage le bricolage que la construction en série, cette gueule tout en angles vifs...
Quand la majorité des motos sont censées valoriser leur propriétaire au nom d’impératifs subjectifs (frime, culte de la vitesse, mythe du rebelle, identification aux cadors des circuits), la BFG avait un gros défi à relever. Avec 30 kg de moins, un moteur plus démonstratif et des atours un peu plus sexy, ça aurait pu marcher... C’était d’ailleurs prévu, mais l’argent a manqué et on ne peut pas refaire l’histoire... Dommage.
Merci à Pascal Haussy pour le prêt de sa BFG, et à Philippe Perelle pour la documentation.