J’ai vendu ma KTM 690 SM de rallye, raclé les fonds de tiroirs et j’ai acheté une Ducati d’occasion en très bon état. L’idée était de participer au championnat de France des Rallyes. Un, pour bien connaître la moto ; deux, pour la rendre plus performante pour la course de Pikes’ Peak. J’ai fait quatre rallyes et ça s’est plutôt bien passé : une victoire en circuit, une victoire d’étape et un rallye gagné, ce qui me place actuellement en seconde position au classement provisoire 2012.
Je suis donc arrivé à Pikes’ Peak avec une moto bien en mains, mais j’ai été très surpris par la baisse de puissance importante due à l’altitude. Je pensais même que ma moto était en « panne », mais Ducati Denver m’a assuré du contraire... Une chose est sûre, c’est que ça ne se passe jamais comme on l’a prévu ! Pour un Ajaccien jamais sorti de l’Hexagone et qui ne parle que quelques mots d’anglais, ce n’est pas simple. Mais le processus était enclenché dans ma tête et il n’y avait pas grand-chose qui aurait pu le contrarier.
J’ai donc monté mon dossier tout seul et, moi qui suis un homme de terrain, je me suis fait violence pour taper aux portes afin de trouver des partenaires. Restait à m’affranchir de moult formalités administratives, puis à organiser mon déplacement et le transport de la moto en avion. Le sympathique pilote auto Romain Dumas m’avait bien proposé de mettre ma moto avec sa voiture dans son container, mais il enchaînait ensuite la course de Macao — ce n’est pas vraiment ma route ! De plus, me priver de ma moto un mois de plus me faisait rater un rallye. Je suis donc arrivé à Denver fin juin avec mon pote Christian Delahaye, j’ai loué un pick-up Truck Ford, récupéré ma moto au fret et nous avons atterri à Colorado Springs, chez Eric et Janina, les proprios du Rainbow Lodge, motel qui deviendra mon QG.
BRUNO LANGLOIS A PIKE PEAKS from boomerang-productions on Vimeo.
INCENDIES : LA COURSE FINALEMENT REPORTÉE
Très mauvaise surprise, la région est la proie des flammes et la route qui mène à Pikes’ Peak est fermée ! Le lendemain, nous allons voir l’organisation PPIHC et je demande à voir Megan Letham, la directrice, qui me montre une carte de la région où l’on voit l’ampleur de l’incendie immense et la montagne de Pikes’ Peak qui est juste de l’autre côté de la vallée. Elle espère que les vents vont tourner et pousser le feu loin de Pikes’ Peak. Nous aurons passé cinq jours à attendre sans pouvoir jamais accéder à la route tant convoitée, à cause du feu, qui va et vient de façon imprévisible et qui brûlera 400 maisons à Colorado Springs. Nous arrivons quand même à prendre le petit train à Manitou Springs, qui monte jusqu’au sommet, via un autre versant de la montagne que celui de la route. Là-haut je m’aperçois qu’il fait beaucoup plus froid qu’en bas (pas loin de 0°), alors qu’au motel on a 30°. Nous en profitons pour faire quelques photos qui paraîtront sur le Nice-Matin Corse.
L’ALTITUDE, UNE ENNEMIE
Je ressens le mal de l’altitude, les vertiges… et de retour au motel, comme mes camarades, je mouche et je saigne du nez : l’effet de l’altitude. Premier enseignement, il va falloir se préparer sérieux ! Le lendemain, la nouvelle tombe : pas de course ! Elle est reportée… en août ou en septembre. Je serai là ! Les patrons du motel sont ok pour garder ma moto et mon matériel. Je reprends donc un billet pour rentrer par San Francisco, puis Paris et enfin Ajaccio. Mon budget avion explose ! Quelque temps après, la nouvelle date tombe : le 12 août. Je décide de repartir quinze jours avant la course pour m’acclimater à l’altitude et pour bien apprendre les 156 virages des 20 km de la montée magique.
Le 28 juillet, me voilà de retour à Denver. Je récupère une voiture de loc’ chez Uhaul et retrouve Eric et Janina au Rainbow Lodge. Le lendemain matin, je récupère ma moto et je vais louer une remorque : le plateau du pick-up est trop haut pour monter et descendre la moto en sécurité. L’après-midi, je monte à Pikes’ Peak avec la moto, mais il est interdit de rentrer dans la réserve avec une remorque. Alors je décharge la moto pour monter avec. Mais dans l’excitation, j’ai oublié les gants et le casque ! Pas grave, je roule quand même : trop envie !
Bruno (à droite) et son ami Alain
ENTRAÎNEMENT ET MÉMORISATION DU TRACÉ…
La route est fabuleuse. J’arrive pour la première fois au sommet en moto… émotion de gosse. Puis je redescends doucement ; je me gèle, il doit faire 2° et il se met à grêler fort… Voilà mon baptême de Pikes’ Peak, sans casque, sans gants : bravo ! Je rentre au motel trempé et congelé, mais heureux ! En discutant trois mots avec Janina, j’apprends que c’est souvent comme ça l’après-midi et qu’il vaut mieux y aller le matin. Alors tous les matins à 7h, je suis devant la barrière, et ce pendant une semaine.
Je vais mémoriser le tracé et m’acclimater à l’altitude. Je ne vois que des touristes, pas de pilotes ; serais-je le seul à reconnaître la plus grande course de côte du monde ? Bah, on verra bien. Je suis seul mais motivé et concentré. Le soir, je vais au Safeway d’à côté pour me ravitailler, et je pianote sur Facebook pour donner des infos à mes amis en Corse et ailleurs qui me soutiennent. Au bout d’une semaine je n’ai plus de vertiges, je ne saigne plus du nez et je peux dessiner le parcours. Je me suis fait engueuler deux fois par les rangers parce que je roulais trop vite et aussi par le chairman (le boss) de l’organisation. Je dois calmer le jeu et éviter de faire la bêtise qui pourrait compromettre ma participation. Toutefois, ce qui m’inquiète le plus, c’est ma moto qui n’a pas beaucoup de puissance ; mais il paraît que c’est pour tout le monde pareil. J’ai quand même un doute…
APRÈS 9 JOURS, LES PREMIERS CONCURRENTS ARRIVENT
Voilà neuf jours que je suis au motel et je vois arriver avec joie les premiers concurrents ; je vais pouvoir parler un peu course moto et échanger des infos. Il y a un Écossais, trois Italiens et des Californiens, plus des pilotes auto. Je fais vite copain avec les Italiens – normal, Corse et Italie, c’est à côté – et puis le Californien Jeff Jansen, le Rémy Julienne américain, un grand mec sympa avec des blessures partout et une belle BMW.
Ça y est, le compte à rebours est enclenché. Demain les vérifications techniques et administratives à Fountain ; c’est à 25 miles au sud. Pour être sûr de ne pas me tromper, je vais voir où c’est. Surprise : je pensais de loin arriver sur un stade de base-ball et bien non, c’est un circuit de Nascar ! Je tombe sur un mec sympa qui m’ouvre la grille et me fait visiter. Et là, un camion rempli de bagnoles de Nascar, dont celle de Dale Hearnart Jr., 3e du championnat. On fait des photos, le top !
Mardi 7 août, vérifications. J’arrive tout seul avec mon pick-up et ma moto. Heureusement, Jeff Jansen me donne un coup de main pour transporter tout le bordel, combinaison, casques, bottes, gants, protection dorsale et de cou… plus la moto. Mauvaise surprise, mon casque, pourtant neuf, n’est pas homologué chez eux. Il me faut en acheter un à Colorado Springs. Quelques heures et quelques dollars plus tard, tout rentre dans l’ordre ; les essais vont pouvoir être abordés sereinement le lendemain.
LES ESSAIS COMMENCENT
À l’occasion des vérifs, je fais la connaissance de Romain Dumas et de son équipe et du team de Jean Philippe Dayrault. Ça fait du bien de parler un peu français au bout de dix jours d’amerloc, et puis ils sont sympas avec moi. Petite anecdote : je tourne autour des garages en pick-up, je regarde toutes les écuries avec les super camions, les belles remorques… et j’entends : « Ho, Bruno ! » Pas possible, au fond du Colorado il y a quelqu’un qui me connaît ! En fait c’est un gars de l’équipe de Dayrault, qui savait que je venais et qui, par déduction (voiture de loc’, sponsors), m’a reconnu. Alexandre Nayls pour ne pas le citer : très sympa. Après dix jours en solitaire c’était cool comme rencontre, d’autant que ce soir j’ai mon pote Alain Frattini, de Cannes, qui arrive pour rester avec moi jusqu’au retour en France.
Je vais donc le chercher à Denver airport – je connais la route de par cœur mais manque de bol… ce n’est pas une spéciale ! Il arrive en forme, on va bien s’éclater ! Sur la route, je lui explique que demain les essais démarrent à fond : il faut être à 3h30 sur zone et pour débuter. On reconnaît le « middle », la partie qui monte fort, avec de nombreuses épingles. La montée est divisée en trois parties et les concurrents sont repartis en trois groupes.
Mercredi 8 août, levé à 2 heures. On accroche la remorque avec la moto et le matériel, le groupe électrogène, les couvertures chauffantes, etc… C’est parti. Sur la zone, c’est impressionnant toutes ces voitures, ces motos, ces quads et camions en pleine montagne, en pleine nuit… cette effervescence. On nous parque et chacun prépare sa moto pour les essais.
Vers 6h, c’est le briefing pilotes au camion de Jeff Jansen… blablabla en ricain et puis la prière ! Avec Alain, on se regarde, surpris : ces Amerloques, ils sont vraiment pas comme nous !
TROISIÈME TEMPS DES ESSAIS
Dès que le jour pointe on enfourche les motos et on fait une première montée à vitesse réduite derrière une moto de l’organisation. Puis ça y est, on est lâchés, de 10s en 10s. C’est le bonheur de prendre de la vitesse sur cette route magique. Je prends bien mes repères et je prends mon pied, ; il y beaucoup de beaux enchaînements, la route est large et rapide, avec des virages aveugles et des ravins vertigineux… le top !
Je vois que je ne roule pas trop mal mais je n’arrive pas à voir comment roulent Carlin Dunne et Greg Tracy, les deux pilotes du team Ducati USA, les « boss » de l’épreuve. Dès qu’on redescend, je suis le premier à me caler pour remonter… comme au tire-fesses au ski : un vrai gosse, je vous dis ! Et puis 9h arrive et c’est déjà fini : il faut libérer la route pour les nombreux touristes qui affluent pour visiter notre Graal. J’ai le 3e temps derrière les deux Ducati officielles, je suis heureux !
Jeudi 9 août. Il faut être encore plus tôt (3h15) sur zone car on fait la partie du haut – on fera la sieste cet après-midi ! Mais quelle éclate cette route ! Toujours le même protocole : briefing, blablabla et prière. À 6h30 on roule, et ce jusqu’à 9h. Alors là, avec deux gauches très rapides que je prends à 200 km/h, puis encore un gauche rapide en 4e, un autre un peu moins rapide en 3e : il faut pas se tromper ! Ensuite, des pif-paf rapides et trois épingles, pour terminer par un beau tronçon avec l’arrivée en prime. Mais avec l’altitude maxi, ma moto a la moitié de la poussée que je lui connais en France. Toujours le 3e temps…
Vendredi 10 août… grasse matinée : seulement 3h45 sur zone ! C’est la partie du bas, du départ jusqu’à « Glen Cove », qui signe le début des épingles. J’adore ce tronçon : je prends plusieurs fois 200 km/h et une fois 210 km/h. Ce sont de beaux enchaînements où chaque virage quasiment conditionne le suivant, avec de belles courbes et des grands circulaires qui referment parfois.
J’essaie plusieurs fois de partir derrière les Ducati officielles, mais on m’en empêche. Une fois je vais même forcer un peu et je vais avoir un avertissement du commissaire qui donne les départs. Je n’arriverai jamais à savoir comment ils roulent mais en revanche, sur des photos vues plus tard, je verrai qu’eux ont roulé derrière moi ! Toujours 3e, mais il y a des partiels où je suis devant !! Ils me regardent l’œil en coin, et avec Alain on rigole : humm, c’est bon d’être là à Pikes’ Peak et d’être dans le coup malgré la perte de puissance.
Suite du récit dans la colonne de droite