En 2011, le docteur Ali Afdjei et l’ancien motard de la police nationale aux 22 « Dakar », Raymond Loizeaux, présentaient au salon moto de Paris, la société Emergency City Bike (ECB) et sa moto médicalisée pour les urgences dans les villes saturées par la circulation automobile mais aussi dans les zones difficiles d’accès.

Le principe, louer et mettre à disposition, aux SAMU ou sur les grands événements sportifs de masse, un conducteur avec une Honda Goldwing (ou autre modèle de GT) équipée du matériel nécessaire aux interventions de secours, identique à celui que transporte un véhicule SMUR. Une alerte donnée, et le conducteur, expérimenté et formé au pilotage d’urgence, embarque un médecin et se rend en toute sécurité sur le lieu de l’intervention, sans idée de vitesse.

Dans Moto Magazine n°312 (novembre 2014), p. 22, l’ambulancier SMUR Jean-Philippe Blanchard dévoilait tout l’intérêt d’une telle formule, et notamment une économie de moyens non négligeable.

Problème, si les créateurs de la société ECB ont réussi à convaincre le milieu motocycliste, puis à équiper quatre motos grâce aux services d’une société d’ingénierie, ils éprouvent beaucoup plus de difficultés à persuader l’administration qui gère les services de santé à Paris et en France. Nous faisons le point avec Raymond Loizeaux.

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De combien de motos équipées pour les interventions d’urgence dispose la société ECB ?
Nous avons équipé quatre motos. Trois Goldwing 1800 que le Pdg du concessionnaire Japauto, à Paris, avec le concours de Honda France, a mis à notre disposition. Nous avons également une R1200GS qui nous a été offerte, équipée, par le concessionnaire de Périgueux (Dordogne), Moto Passion BMW.

Comment fonctionnerait ECB : un prestataire privé du service public ?
Nous proposons aux services hospitaliers ou aux organisateurs de grands événements sportifs, la location de la moto tout équipée, et de son conducteur. Ce professionnel est formé à la conduite d’urgence, mais aussi aux secours, au sein du SAMU. Le médecin s’assoit sur la place passager du véhicule et il est transporté, jusqu’au lieu de l’urgence sans être bloqué par la circulation, en renfort des pompiers déjà sur place ou en attendant le véhicule lourd.

Où en êtes-vous, avec l’administration des hôpitaux ?
Nous sommes en attente de la signature du protocole d’accord avec l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (APHP). Le principe sera validé après une période d’expérimentation sur un nombre d’interventions qui reste encore à définir avec le SMUR de l’hôpital Lariboisière (Paris 10e). Nous avons déjà mené des tests à blanc avec des médecins de ce service. Le problème, c’est que la phase de tests officiels devait débuter en juin 2014 et en octobre, nous sommes toujours au point mort. Or, nous avons besoin de ces essais, grandeur nature, pour convaincre l’administration, et d’autres utilisateurs potentiels ailleurs en France.

On a l’impression que vous rencontrez des réticences, à cause du simple usage de la moto ?
Nous rencontrons des réticences, parce que c’est un usage nouveau et la moto est parfois stigmatisée pour sa dangerosité. Mais nous avançons, grâce à certaines expériences qui prouvent l’intérêt de ce concept. Ainsi, nous avons réalisé l’assistance médicale du Marathon de Paris en 2013 et 2014. Par ailleurs, nous avons mené une expérimentation avec le SAMU de Périgueux, en 2013. Le médecin chef du SAMU, Michel Gautron est motard. L’essai a duré une semaine, à l’issue de laquelle le préfet du département a écrit au ministère de l’Intérieur pour l’informer du bien fondé de ce concept. L’expérience a été concluante, mais on en est resté là.

Pourtant, pour ce qui est de la dangerosité de la moto, nous avons associé à ce projet un ancien motocycliste de la Gendarmerie nationale, Philippe Legendre. Il a fait sa carrière à l’Escadron motocycliste de la Garde républicaine, et a été formateur au Centre national de formation à la sécurité routière de Fontainebleau (Seine-et-Marne), centre dont la renommée n’est plus à faire. Philippe s’occupe de la formation au pilotage d’urgence des conducteurs des motos ECB.

A Périgueux, l’expérimentation a duré une semaine, et à Paris, elle est programmée sur plusieurs mois. Pourquoi une telle différence ?
C’est pour donner encore plus de crédit à ce concept auquel nous croyons. Revenons au marathon de Paris je transportais un médecin qui ne connaissait pas le projet, nous avions quatre motos équipées, indépendantes. Les médecins se sont montrés assez impressionnés. Pour ce qui est des Hôpitaux de Paris, je m’interroge sur le retard pris par les essais… Que faut-il faire ?

Quand vous avez monté ce projet, vous doutiez-vous qu’il serait aussi long de persuader les services sanitaires et médicaux ?
Non, bien sûr, après ma carrière de motocycliste dans la Police nationale j’ai fait, pendant quelques années, du transport de personnalités sur Paris. Ils ont rapidement compris l’intérêt de la moto. Ils se sont rendus compte que l’on pouvait arriver plus vite, et pas forcément avec plus de risques, sur les lieux d’un rendez-vous. Tout dépend du conducteur !

Vous avez créé la société ECB, bénéficié de l’apport financier de partenaires... Combien de temps avez-vous encore devant vous ?
Le temps, c’est celui de l’épuisement… j’ai mis toute mon énergie et suis bénévole dans cette entreprise. Des partenaires comme Total croient au projet : cette multinationale finance la phase de test ; certains des matériels médicaux, à 30.000 euros l’unité, ont été prêtés à ECB ; l’assureur Axa couvre le concept pendant sa phase de conception et d’expérimentation. Mais des partenaires (Weinmann, Teleflex, Abbott, Air Liquide…) nous interrogent : combien de temps avant l’expérimentation !

Le recours à la moto pour les urgences a prouvé son efficacité dans d’autres pays d’Europe…
Oui, seulement le principe est différent. Le déplacement du médecin sur le lieu de la détresse est une spécificité française. A Londres (Angleterre), les services de secours disposent d’une flotte de vingt motos, et même de vélos. Mais ce sont des secouristes, équipés de trois sacs de matériel qu’ils mettent dans les valises d’une Pan European, d’une R 1200 RT ou d’une 1300 FJR. Ils sont systématiquement relayés par une ambulance, ne soignant pas sur place.

Est-ce que la passion pour la moto est à l’origine de votre implication ?
Bien sûr ! Je n’aurais pas tenté cette aventure s’il s’était agi d’autres véhicules. Pour être sincère, ECB a reçu la proposition d’être équipé de scooters MP3 Piaggio, mais ce n’était pas possible. Le scooter n’a pas la même capacité d’emport.

Glossaire
. SAMU : Service d’Aide Médicale d’Urgence (le bâtiment où se trouve la régulation médicale)
. SMUR : Service Mobile d’Urgence et de Réanimation (le véhicule qui se déplace)
. ACR : Arrêt cardio respiratoire
. O2 : Oxygène
. ECG : Électrocardiogramme

Le site Internet de ECB ; sur Facebook

A lire, le portrait de Jean-Philippe Blanchard, ambulancier SMUR et pilote du concept ECB, dans Moto Magazine n°312 (novembre 2014)

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