Si le Falcone a contribué, dans les années 50, à construire l’histoire sportive de Guzzi, le Nuovo Falcone a surtout bâti l’image utilitaire et solide de la marque. Voici l’histoire d’une petite escapade en mer du Nord avec un modèle Sahara de 1975.
En Picardie, lieu de rencontre avec Michel et sa Guzzi, le temps n’offre jamais de certitudes ! Les nuages qui traversent le ciel et arrosent de temps à autre les champs de betteraves font réagir notre compagnon d’un jour : « J’avais nettoyé la moto jusqu’au moindre recoin, comme jamais je ne l’avais fait auparavant, et voilà ce temps qui tourne à la flotte… Et puis avouez qu’aller vers la mer du Nord, sous la pluie et avec un modèle Sahara, c’est tout de même assez anachronique ! ».
Tout le monde en rigole, et c’est presque avec résignation que la petite équipe quitte la chaleur du bistrot-épicerie d’Hardivillier, direction les plages de Dieppe. Il y a la moto de Michel, une Moto Guzzi Nuovo Falcone 500 de 1975 dans sa robe Sahara, une Moto Guzzi V7 Classic de l’année… Et la Jeep de la Société nationale de sauvetage en mer de Cayeux (le capitaine, ami de Michel, est un amoureux de Guzzi) comme voiture d’assistance au cas où…
En images
Deux philosophies. Alors qu’il suffit d’une simple pression sur le bouton de démarreur pour lancer le bicylindre de la nouvelle V7, c’est avec un certain doigté qu’il faut entreprendre la mise en route du bon vieux gros mono. D’abord, mettre la moto sur sa béquille centrale, car la latérale est d’une instabilité menaçante. Après avoir cherché au kick le point de compression, il faut actionner le levier de décompression (à gauche) et kicker deux fois. Avec cette « méthode à Michel », ça marche à tous les coups, à condition de ne jamais manœuvrer la poignée de gaz. Il y a certes un démarreur, mais celui-ci ne sert qu’en dépannage, et de toute façon, il n’est bon qu’à mettre la batterie à plat. Ce qui est fantastique ensuite, c’est le bruit du moteur au ralenti : il n’y a pas de compte-tours, mais on peut facilement compter les explosions.
À côté, le moteur de la V7 tourne non pas comme une horloge, mais comme un moulin à café. Sur route, c’est un peu la même chose : du haut de sa puissance maxi très modeste (26 ch), le Nuovo Falcone enroule tranquillement sans se soucier des limitations. On se demande même pourquoi tous ces gens roulent si vite… Comme toute bonne vieille Guzzi qui se respecte, la moto possède les quatre vitesses (inversées à l’ancienne) à droite. L’embrayage est vraiment doux, mais le passage des vitesses est très, très long. Avec la V7 moderne, pas la peine d’avoir un diplôme universitaire d’es(sayeur) moto pour mesurer l’évolution entre les deux machines. Sur la Falcone, les verbes « décomposer » et « anticiper » prennent tout leur sens et l’on se surprend à rouler hors du temps. De nos jours, seules des machines comme la Royal Enfield, fabriquée en Inde, ou certaines motos de l’ex-bloc de l’Est procurent ces sensations. Le sentiment de marginalité qui en découle, c’est extra et peut-être bien plus « écologique » que ce qui est préconisé par les prophètes en la matière !
Une certaine idée de la simplicité. À mi-chemin entre le nord de l’Oise et Dieppe, le village de Gerberoy est une halte bienvenue. Bien conservé, sans trop d’artifices touristiques, ce village invite à la pause, surtout quand le temps vire au beau. Le cadre idéal pour un bref résumé historique du modèle. Au début des années 70, après avoir écoulé pas mal de Falcone en Italie et en Europe entre 1950 et 1968 (cette moto était un modèle dérivé des toutes premières Guzzi de l’après-guerre), l’usine de Mandello décide de renouveler son « traditionnel monocylindre » en concevant le Nuovo Falcone. Commercialement il s’agissait de répondre à une demande de l’administration italienne (armée, police, gendarmerie, police municipale, pompiers…), qui voulait renouveler sa flotte de motos avec des véhicules simples et solides. Cela n’a pas empêché l’usine de proposer un modèle civil.
Une partie-cycle originale Par rapport à l’ancien modèle, le Nuovo Falcone se distingue par plusieurs évolutions : un cadre tubulaire en acier au lieu du cadre mixte et tubes en tôle, un ensemble moteur/boîte monobloc, un allumage par dynamo, une première vitesse très courte, des suspensions plus modernes et en adéquation avec l’évolution de l’époque… Mais surtout, l’administration avait fixé des règles très strictes en matière de fiabilité, de consommation et de prix d’entretien.
Un vrai chameau C’est pour cette raison que le Nuovo Falcone de Michel possède une autonomie de plus de 400 km, une quatrième vitesse presque bonne à tout faire, ne coûte presque rien à entretenir et se révèle d’une solidité à toute épreuve. Son faible taux de compression, par exemple, permet l’utilisation d’essence à très faible indice d’octanes, le filtrage de l’huile est assuré par une simple crépine, toute la carrosserie est en métal et donc réparable… Pour la petite histoire, le fabricant de pots d’échappement Lafranconi produit encore aujourd’hui ce modèle à double sortie (mais on ne sait pas pour combien de temps encore), et on trouve en Italie beaucoup de spécialistes du Nuovo Falcone ! Construite en bleu pour les Carabinieri, en rouge pour les pompiers, en vert brillant pour la police, elle existe en beige sable en souvenir de l’époque colonialiste... Pas de quoi se vanter, mais c’est ce qui donne le petit zeste d’exotisme et d’unicité à la moto qui, comme vous pouvez le constater, est plutôt bien conservée par son propriétaire picard.
La plage, enfin.
Après une centaine de kilomètres, et entre deux averses, nous voici enfin à Dieppe. Ici, il y a la mer, les bateaux qui partent en Grande-Bretagne et, surtout, des restaurants proposant des moules frites. À l’apéro sur le port, les gens ne regardent que la vieille Guzzi, pas la V7. Allez savoir pourquoi, mais ça fait plaisir à toute la compagnie, y compris à Patrick et Jean-Pierre qui nous accompagnent avec leur Jeep. Tant d’années d’écart et une philosophie finalement pas si éloignée. Quarante ans plus tard, la V7 Classic reprend les codes visuels de ses illustres ancêtres pour offrir une machine propice à prendre les mêmes chemins de traverse que notre Nuovo Falcone.
Remerciements à Michel Herbert pour le prêt de sa Guzzi.
Michel habite un petit village au nord de l’Oise au joli nom évocateur de Beauvoir. Il partage son temps entre son quotidien et son autre grande passion, le bateau, en caressant le rêve de parcourir les mers du globe. Sur la terre ferme, ce sont des Guzzi qu’il chevauche, en abordant la route sans se soucier du lendemain, et dans un esprit ludique. Bref, un type simple…
Moto Magazine : Michel, c’est quoi pour toi Moto Guzzi ? Michel : C’est un tout ! Chez Guzzi, il y a une philosophie de la vie qui me va, une mécanique qui me parle, une histoire nonchalante liée à l’après-guerre et dédiée à un avenir meilleur. En plus, c’est le seul logo qui me fait planer.
Moto Magazine : Oui, mais pourquoi ce modèle à l’allure colonialiste et militaire ? Michel : Je n’ai ni nostalgie pour cette époque ni affection pour le monde militaire... Je possède par ailleurs une Calif de 1984 que j’utilise tous les jours, et j’ai eu une V7 Sport de 1972, des Le Mans, des Bitza Café Racer, ainsi qu’une Breva 1100… trop moderne à mon goût ! Non, ce que j’aime dans cette moto, c’est son aspect utilitaire et de machine faite pour durer. Ceci ne veut pas dire qu’elle est très fiable ou facile à entretenir, c’est même exactement le contraire. Elle est solide, facilement réparable, mais aussi difficile à régler et exigeant une attention particulière à chaque utilisation. Ce qui me plaît aussi, c’est le fait qu’elle s’oppose à la société de consommation qui nous est proposée aujourd’hui. Les briquets, ordinateurs, appareils photo ou casseroles jetables, c’est, à mon sens, un peu le monde à l’envers. S’il fallait résumer, c’est véritablement le moyen de transport le plus alternatif que je connaisse.
Moto Magazine : Où et comment as-tu trouvé cette moto assez rare ? Michel : Sincèrement, je ne sais pas si c’est vraiment un modèle Sahara, car ils sont effectivement très rares, même en Italie. Je pense que oui, mais il faudrait, pour être affirmatif, que je consulte les fichiers Guzzi à partir du numéro de châssis. Ce qui est sûr, c’est que c’est un modèle militaire. J’ai acheté cette moto en Allemagne chez un type qui avait entrepris sa restauration totale. Elle m’a coûté, après de dures négociations, un peu plus de 4 000 €.
Moto Magazine : On a pu voir ses qualités pendant cet essai, à savoir couple moteur, tenue de route, style, confort… Quels sont, pour toi qui l’utilises souvent, ses principaux défauts ? Michel : Ce n’est pas une moto pour aller rouler sur le périph’ parisien ou pour aller vite. Elle incite plus au « voyage-méditation ». Pour ça, elle est parfaite. Techniquement il y a une chose qu’il faut impérativement corriger si l’on circule dans le trafic moderne. Il s’agit de la lubrification du haut moteur à hauts régimes, peut-être à cause d’une pompe qui ne débite pas assez dans un circuit tel qu’il a été conçu. En Hollande par exemple, Théo Lamers a inventé un système très simple pour pallier ce problème. Mais on peut trouver en France des spécialistes, comme la Boutique italienne à Vauvert (Gard), entre autres, qui connaissent bien ce moteur et proposent des solutions ainsi que des pièces de rechange. En Italie, on trouve bien sûr pas mal de choses. Pour le reste, je lui reproche certains détails comme un rayon de braquage trop important ou encore le freinage avant, qui t’oblige à tout prévoir et anticiper !
Moto Magazine : Par rapport à l’ancien modèle de Falcone, y a-t-il quelque chose qui te gêne ? Michel : Non, l’évolution est utilitaire et donc logique. La seule chose que je reproche aux ingénieurs de l’époque, c’est d’avoir caché derrière un carter le fameux volant « coupe-jambon » !