Au-delà des performances, Harley s’est surtout concentré sur le look. On prend alors plaisir à dénombrer tous les petits détails qui lui confèrent son supplément d’âme. Ici, des fils de bougies orange tout droit sortis des ateliers compétition ; là, des durits d’alimentation d’huile en acier tressé et un petit radiateur d’huile qui s’accroche au cadre.
L’inventaire ne réserve malheureusement pas que des bonnes surprises, et notre belle n’est pas exempte d’éléments qui fâchent, tels les petits amortisseurs à trois francs six sous, le double échappement massif tenu par une vilaine patte, ou encore ces longues biellettes de renvoi du sélecteur.
Chez Guzzi, on s’est aussi donné les moyens d’attirer les regards. Quittant l’univers des « motos à l’ancienne », la Griso 1100 affiche des lignes harmonieuses et modernes.
Propulsée par le bouilleur dérivé de la 1100 Breva, elle conserve la transmission par cardan, mais abandonne le freinage couplé qui faisait le bonheur des utilisateurs de la California.
Nous avons volontairement choisi la version 2 soupapes, la récente Griso 8V (pour la culasse à 4 soupapes) étant, à notre goût, trop puissante pour une confrontation équilibrée.
Prise en main : les apprivoiser
Le passage d’une moto à l’autre révèle des ergonomies radicalement différentes. Avec l’italienne, on enfourche un vrai roadster. Le buste est basculé en avant sur un large guidon, les pieds sont remontés pour favoriser la prise d’angle, et les fesses sont bien calées à l’arrière de la confortable selle.
Sur la Harley, on cherche ses marques. On est comme posé, les pieds un peu trop en avant et les mains en hauteur du fait d’un guidon « cornes de vache ». Et surtout, on peine à serrer le réservoir avec les jambes. Plutôt gênant pour une moto aux prétentions de sportive.
En revanche, la XR est la meilleure amie des citadins, la position droite facilitant les inévitables manœuvres qu’impose une circulation dense. La Griso est moins à l’aise dans cet exercice, à cause de son large guidon à hauteur des rétroviseurs de voitures.
Moteur : les dompter
Le rêve ! Le soleil brille, le bitume, légèrement granuleux, est à température idéale, et le tracé fuit dans les taillis comme une vipère se carapatant à l’approche de marcheurs.
Devant, la XR, menée par un Jean-Luc... motivé, prend une courte avance. Qu’à cela ne tienne, je calque mon rythme sur le sien. Sous mes fesses, le bouillonnant bicylindre transversal de la Griso fait preuve d’une incroyable souplesse à la remise des gaz, et les vitesses de notre machine d’essai passent sans le moindre accroc (signe d’un rodage aux petits oignons). Le rythme coulé, mais ferme, sollicite les pistons sans à-coups. Profitons-en !
Après une petite épingle passée en seconde, j’ouvre grand les gaz. Le cardan se cabre légèrement, et le régime du twin s’emballe comme un jeune chiot courant après la ba-balle... Le tout dans une douce mélodie qui envahit crescendo l’espace sonore du pilote.
Cette accélération franche me permet de rattraper sans souci la XR qui s’égosille, et me donne même l’occasion de la doubler d’un trait. Malgré la sortie du nouveau moteur à quatre soupapes, cette motorisation tient son rang sans sourciller et suffit largement pour un usage musclé.
Aux commandes de la XR, on profite des performances bonifiées de ce 1200 cm3 issu des Sportster, avec une puissance et un couple plus généreux (voir courbes).
Mais la plage d’utilisation, plus restreinte avec une coupure d’allumage à 6 000 tr/min (contre 8 200 sur la Griso), pousse à jongler avec les vitesses pour garder le moteur dans le régime idéal (entre 3 000 et 5 000 tr/min). La conduite est du coup plus heurtée, même si les vocalises de ce « longue course » sont un vrai plaisir pour les oreilles.
Heureusement, et malgré une imposante tringlerie, les rapports passent sans heurts.
Comportement : coups de pattes
Experte... en danse orientale, la XR souffre de la timide intervention de ses amortisseurs, surtout quand le bitume se dégrade. Pourtant, et malgré l’absence de réglage, la fourche de gros diamètre assure un guidage et un amortissement parfaits. Et puis grâce à son grand guidon et à sa garde au sol raisonnable, on peut la malmener sans se faire peur.
Il faut simplement se souvenir qu’une machine de 265 kg offre une forte inertie à la décélération. Si la vitesse d’entrée de courbe est un chouïa trop élevée, il peut être difficile de rattraper le coup, les pneus, même excellents comme nos Dunlop Qualifier, ne pouvant pas tout compenser !
De son côté, le pilote de la Griso profite d’un châssis de course avec des suspensions réglables et largement dimensionnées, et d’un potentiel la plaçant un cran au-dessus de l’américaine.
La machine tourne d’un bloc, même quand l’enrobé est de qualité moyenne. L’inclinaison est aisée et progressive, le pilote profitant d’un bras de levier important pour réaliser ces manœuvres.
Finalement, le seul point faible de cette machine provient du curieux ancrage de sa béquille latérale. Fixée sur l’avant du moteur, elle touche le sol avant les repose-pieds... Et si l’on insiste un peu, on perd l’avant dans le dixième de seconde qui suit. Vécu et...flippant.
Côté freinage, enfin, notre duo est luxueusement servi. L’une comme l’autre profite en effet de pinces frontales musclées, qui mordent efficacement les disques tout en préservant un bon feeling. Les systèmes arrière sont eux aussi efficaces. D’habitude, on a plutôt affaire à de simples stabilisateurs.
Verdict
Décalées, les Harley XR 1200 et Griso 1100 ne sont pas assimilables à des customs du fait de leur aptitude à rouler bon train. Elles ne concurrencent pas non plus les roadsters pur jus, comme les Triumph 1050 Speed Triple ou Ducati 1100 Monster, en raison de la lourdeur de leur partie-cycle.
Inclassables, elles se rapprochent d’une Yamaha MT-01 et son gros twin de 1700 cm3, dans une catégorie où l’apparence et les pulsations dominent. Respectivement vendues 11 195 euros (XR) et 12 550 euros (Griso), elles offrent un programme d’utilisation axé loisirs par l’absence totale d’aspects pratiques.
À ce jeu, la Moto Guzzi prend l’ascendant sur sa cousine américaine grâce à une parfaite adéquation entre la puissance de son moteur et la qualité de son châssis, qui la rend aussi agréable que précise sur route.
La Harley de démérite pas, mais l’étrange position de conduite et la prestation moyenne de ses bi-amortisseurs lui font louper le pôle de quelques dixièmes. Dommage, son style décalé et l’entrain du twin longue course méritaient mieux.