Ici, hors quelques routes goudronnées, tout le reste du pays devient vite impraticable pendant presque la moitié de l’année. C’est pas qu’il pleuve vraiment plus que dans le reste de l’Afrique, mais il y a plus de rivières et plus de montagnes et surtout moins de distance entre les sommets et les plages. À chaque orage, le niveau des rivières monte et les innombrables passages à gué se transforment en fleuves boueux.
On doit toujours s’attendre à devoir patienter, le temps qu’il faut à l’eau pour redescendre un peu…Plus question de pistes, donc, mais une option bitume sur toute la ligne, avec descente jusqu’à Tuléar terminus de la nationale 7 qui relie la capitale aux stations balnéaires du sud ; ça ne s’invente pas !

Tananarive, la capitale, on l’appelle toujours Tana ; ici les noms sont très longs et il vaut mieux toujours opter directement pour les diminutifs. Tana ne ressemble à aucune ville africaine, mais ici, on n’aime pas dire qu’on est en Afrique. Cette île plantée au sud-ouest du continent nous fait comme la Corse avec la Métropole… La Corse, c’est pas la France et Mada, c’est Mada !
- Pour quitter Tana, il y a d’abord une quinzaine de bornes, embouteillées, saturées de minibus crachant leur fumée noire au milieu des deuches-taxi beiges, des piétons, des vélos… puis déjà tous ces camions qui m’accompagneront jusqu’au bout du voyage. Très vite, quand on voit quelques pauvres touristes ballottés dans les taxis-brousse, on prend conscience de l’immense privilège qu’on a de pouvoir se louer une bécane pour soi tout seul, même si on doit la rendre à une date précise, même si le kilométrage est imposé ; malgré tout ça, la magie fonctionne toujours et après quelques virages au milieu des rizières, l’esprit s’ouvre au voyage.
- Tout ce chaos s’éclaircit bien vite et on se retrouve sur une jolie route sinueuse au milieu des collines nues et des rizières où ça s’active pas mal.

Après une journée à traîner à Antsirabe, petite ville des hauts plateaux qui vit au rythme du pousse-pousse, j’ai repris la route du sud sous un ciel plutôt menaçant, néanmoins parsemé d’éclaircies vaguement prometteuses…
C’est la mi-décembre ; la saison des pluies est en avance et on a beau être le plus organisé des voyageurs, il y a des choses qu’on ne peut vraiment pas prévoir trois mois plus tôt.
- elle serait presque idéale, cette route du sud ; un peu étroite, c’est vrai, mais plutôt peu fréquentée, bien revêtue et constellée de petits virages bien inclinés, le tout entouré de rizières et de petites collines.
- Parfois, on a l’impression de traverser l’Aubrac ou la Margeride, quelque part entre Marvejols et Saint-Flour. Mais cette sensation étrange est sans doute provoquée par toutes ces bornes « Nationale 7 » rouge et blanche et les gendarmes à képi avec leurs 4L bleues !

D’Ambositra à Fianarantsora (on dit Fianar), la route, c’est vraiment du régal. On en oublierait presque les camions, leur fumée noire et les trous qui ressemblent parfois à des gouffres dans lesquels il peut être facile de disparaître lors d’un dépassement un peu audacieux noyé dans le brouillard-gasoil.
- Les minibus-taxis-brousse ont aussi un style très particulier pour couper les virages, surtout s’ils sont en roue libre pour économiser l’essence ; quant aux gros 4x4 de nouveaux riches, ils tiennent à montrer qu’ils sont, plus que tous, les rois de la route et le motard doit se rappeler qu’il n’en est que le modeste prince ; c’est une question de survie élémentaire pour ma Transalp et moi.
- Je suis donc arrivé à Fianar à la tombée de la nuit et, comme il se doit, sous une pluie battante. C’est la saison qui veut ça.

Après Fianar, la route commence à descendre des hauts plateaux. Les eucalyptus qui avaient pris la place des pins commencent à céder le terrain à une végétation plus austère, un mélange de machins genre yuccas d’appartement mais version géante et de figuiers de barbarie.
- La température grimpe et tandis que l’horizon s’élargit, la route slalome entre de grosses masses minérales noirâtres ; le ciel est parfaitement bleu et on jurerait que la saison des pluies est allée se faire voir ailleurs.
- Au croisement avec la piste qui descend à Fort Dauphin, la pointe sud de l’île, j’ai pas pu m’empêcher d’aller y faire quelques kilomètres, juste comme ça, rien que parce que les loueurs ne veulent pas qu’on y aille mais que bon, six ou sept petits kilomètres sur les cinq cent qu’il faut faire pour arriver en bas, ils le verront même pas.
- Ce que je ne savais pas, c’est qu’un peu plus loin, sur ma N7 à moi, le goudron fait lui aussi place à une vraie piste… J’avais pas l’air con… C’est que la pluie arrive toujours en fin de journée…
- La N7 se transforme alors en une piste boueuse aux multiples ramifications. Chaque variante évite un bourbier pour mieux se jeter dans un autre en cas d’erreur d’aiguillage.
- C’est plutôt rigolo et si on chute, il y a toujours moyen de trouver de l’aide puisqu’on est toujours officiellement sur la nationale et que donc la circulation n’y manque pas. Tomber là-dessus aux deux tiers du parcours initiatique, c’est un sacré test pour savoir si on est prêt à devenir un roi de la piste.
- Tout autour de moi, l’horizon semble infini : plus de caillou, plus d’arbre, plus rien, que de l’herbe rase et des nuages noirs qui dégueulent en crachant leurs éclairs devant, derrière, sur les côtés…

À Ranohir(a), je me trouve un joli petit hôtel à bungalows ronds juste en face des masses rocheuses de l’Isalo. J’ai rendez-vous avec « Mac Gyver », guide rencontré quelques heures plus tôt à la pompe à essence manuelle de chez Bernie, à l’entrée de la ville.
- Son rapport poids/baratin m’a beaucoup plu, sachant que le guide est obligatoire pour visiter une réserve et que comme il y a une quinzaine de bornes un peu boueuses pour arriver au canyon, il vaut mieux embarquer un guide plutôt léger et néanmoins équipé d’un certain sens de l’humour.
- Bien m’en a pris : sur la piste un peu glissante, Mac Gyver m’a dit que moi j’étais pas un wahasa fragile mais un authentique wahasa-commando ; j’étais pas peu fier de cette promo inattendue.
- Arrivés devant le canyon, on a laissé notre paquetage en consigne dans un petit village de mini-cases où on ne vit qu’accroupi. Je trouvais pas ça terrible comme villa mais Mac Gyver m’a expliqué que dans ce village, c’était des pauvres de troisième qualité, que lui il était de la seconde et que ceux de la quatrième qualité, ils vivaient dans les poubelles comme des rats…
- Finalement, c’est pas vraiment cool pour tout le monde ici !

Un autre pays m’attend, les hautes terres sont définitivement derrière. Au milieu d’une végétation devenue presque inexistante, la route plonge imperturbablement vers la région du saphir.
- Il y a quelques années, on a découvert dans ce coin perdu un gisement qui a provoqué la ruée massive d’une population que Mac Gyver aurait sans conteste labellisée de cinquième qualité.
- Le long de la RN7, les baraques en bois ont poussé un peu anarchiquement ; elles abritent un tas de petits commerces plus ou moins louches mais entièrement dédiés à la gloire du saphir.
- Il y a même un casino comme dans tout bon western qui se respecte où l’on peut perdre en quelques secondes ce que l’on a arraché au fond de la terre. Ici, m’a t-on dit, on meurt beaucoup au fond des galeries et des tripots…
- Madagascar est réputée pour ses variétés de baobabs et je croyais en trouver tout le long de la route. Mais non… Ces prestigieux géants sont presque tous concentrés sur la côte ouest, entre Tuléar et Monrodavia, le long de cette piste où je comptais m’aventurer avant qu’on m’explique qu’en cette saison, c’était totalement impossible.
- Pourtant, un peu après la région du saphir, surprise, il y a des baobabs partout, tout autour, mais pendant seulement quelques kilomètres, la végétation retournant ensuite à sa plus simple expression. Jusqu’à Tuléar, point extrême de mon périple, la route est très détériorée et il faut slalomer entre les trous, louvoyer dans les gravillons et même affronter des petits bouts de tôle ondulée. La ville, d’ailleurs, n’a rien à voir avec celles des hauts plateaux ; ici ça sent la poussière et le désert . Et ça plombe. Il faut bien le mériter, son brevet de pistard !
- Le temps pour moi de rendre visite au loueur du sud et le lendemain me revoilà sur la N7 à rebours, avec ses trous, ses baobabs et ses cow-boys du saphir.
- Avec une moto de location, la vie est dure pour les gros rouleurs. On arrive vite aux limites du kilométrage imposé. Une semaine avec seulement 400 bornes « à dépenser », ça va devenir compliqué à gérer.
- Je me décide finalement à jeter un coup d’œil sur la côte est. Bizarrement, Manfred me l’avait conseillée alors que c’est l’endroit le plus pluvieux de l’île ; ça paraît incompréhensible, c’est pourtant simple.

- Au sud, il ne pleut pas du tout pendant des mois, donc dès la première averse, c’est le bordel intégral. À l’est, où il pleut à peu près toute l’année, on a l’habitude : y’a des vrais ponts et des fossés pour laisser passer l’eau.
- À peine a t-on quitté la N7 pour la N45 qu’on se retrouve sur une vraie piste défoncée comme on en rêve quand on vient de finir son initiation : des trous géants, des mégas ornières…
- Comme prévu, puisque je suis dans la région des pluies, le ciel est totalement bleu et le soleil tape dur. Pendant une petite centaine de bornes, on traverse même de la vraie forêt.
-Manaka et Manandzar sont les deux seules villes à peu près accessibles de la côte est. Entre les deux, cent cinquante bornes de bonne piste et de mauvaise route au milieu de collines déboisées.
- À l’approche des deux bourgades, la végétation se réveille un peu. Normal, c’est de ça qu’on vit dans le secteur. Cœur de palmier, café, thé, cannelle, girofle, mangues, letchis et vanille plus au nord sont les richesses de la côte est. Antan, le canal construit tout le long permettait d’amener tout ça au port de Tamatave, bien plus au nord.
- Il n’est plus en service que sur certaines portions, mais on peut toujours s’y promener en pirogue si on s’emmerde dans son bungalow au bord de l’océan. C’est qu’il n’y a pas grand-chose à faire dans ces petites villes de bord de mer et je n’ai pas tardé à reprendre la N45 dans l’autre sens.
- J’étais en train de penser à mon kilométrage qui n’allait pas tarder à dépasser la limite autorisée par Manfred, ça m’inquiétait un peu. Mais très vite, ça ne m’a plus inquiété du tout : tout s’est arrêté.

Quand je me suis réveillé, je n’ai pas vraiment compris tout de suite. Il y avait des tas de gens qui s’agitaient autour de moi qui essayais juste de leur demander ce que je foutais là, où j’étais, ce qui s’était passé. Une équipe des Telecom malgaches avait déjà chargé la Transalp sur leur 4x4 plateau, ils m’ont ramené à Fianar’ en m’expliquant que je m’étais pris un camion en pleine tronche .
Finir un voyage en taxi-brousse avec la bécane en morceau sur le toit, c’est un truc auquel, il faut bien l’avouer, on pense à chaque départ. Il fallait bien que ça m’arrive un jour… Je terminais donc mon enquête sur les locations de moto à Madagascar par un double bonus : « Que se passe-t-il quand on appelle Inter Mutuelle Assistance du bout du monde avec des bidons un peu partout ? »
Mais ça, c’est une autre histoire et je vous la raconterai une autre fois.

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