En images

Les fils du fil : haute bienveillance Moto de funanbule : histoire de famille Les fils du fil moto : le lien du mariage Motards sur un fil : la masse critique et la chute

On est en avril mais il fait beau dans le Limousin. Une chance pour les organisateurs du salon de la moto de Limoges, car s’il pleut, le spectacle des Stey est plié. Les évolutions de la Suz’ rondouillarde dans un ciel bleu peuplé de nuages cotonneux confèrent une ambiance estivale à ce parking en mauvais état. Le numéro des funambules à moto, on avait l’habitude de le voir dans le centre des petites villes aux confins des lieux de villégiature, durant ces années 70 et 80 où les shows mécaniques attiraient les foules. À Limoges, à l’aube du XXIe siècle, le public applaudit mollement la performance acrobatique, et l’organisateur passe vite aux démos de stunt qui, même si elles n’ont pas la qualité technique de la prestation de la famille Stey, font le plein de spectateurs, surtout chez les plus jeunes.

Un parfum d’antan
Le câble métallique des funambules, tendu entre le tracteur d’un 38 tonnes et un mât de 30 mètres de haut, leurs performances sur une bonne vieille Suz’ au look un brin rétro, tout cela fleure bon la France des fêtes foraines, celle des churros et des barbes à papa ; celle d’avant les gendarmes allongés, les blocs de pierre et les portiques rouges et blancs qui empêchent les cirques de squatter les places plantées de platanes.

David et Willy eux-mêmes, arborant la silhouette caractéristique des acrobates, petits mais râblés, certainement capables de briser des chaînes même fermées avec des cadenas en acier trempé, arborent une assurance tous risques qu’aucun artiste ne prendrait plus désormais. « Le public et le matériel sont assurés, mais pas nous, commente David sans sourciller. Ça nous coûterait le cachet ! » Même à 30 mètres de hauteur ils œuvrent sans filet et n’ont pas intégré de dorsale à leurs blousons bleu paillettes. Leur performance motocycliste est pourtant à ranger plusieurs étages au-dessus des stoppies et autres wheelings des acrobates motocyclistes aux pseudos américanisants.

Esprit de famille
Prendre des risques, se mesurer au vide et à l’apesanteur, c’est aussi naturel pour David et Willy Stey que d’aller dire bonjour à leurs géniteurs, dans leur maison d’Allaire (Morbihan). Les deux frères et leurs parents ont élu domicile à 500 mètres les uns des autres, de vastes prairies séparant les maisons de chaque famille, sises depuis belle lurette dans cette campagne verdoyante qui marque le début de la Bretagne, à quelques encablures de Redon. « Dans cette ville, on a grimpé sur tous les clochers », se souvient David. Car chez les Stey, on est funambule depuis plusieurs générations, et on ne se pose pas plus de questions. « Nous n’avons pas fait d’école de cirque. Les profs, c’étaient le papa, la maman et la grand-mère. »

Un atavisme, la notion d’équilibre, que Charly Stey, paternel aux bacchantes épaisses comme le câble sur lequel il a longtemps roulé, raconte sans que l’on ait besoin de tourner longtemps la clé de la machine à remonter le temps. « C’est mon oncle Henry qui a posé le premier une moto en équilibre sur un fil, en 1935. Il faisait du cirque jusqu’aux Amériques et en Russie. J’ai personnellement débuté à douze ans, avec une 125 Motobécane. » Ses deux fils ont d’autant plus logiquement suivi le mouvement que Charly a convolé avec une fille de funambules, équilibriste elle-même. « Nous nous sommes mariés sur le trapèze, c’est une Jawa 350 qui nous tractait. » Les deux mômes nés à la fin des années 60 ont été baptisés dans le ciel. Un poil turbulents la deuxième décennie à peine entamée, ils ont tâté toute sorte de motos.

Les routes et les chemins du Morbihan se souviennent encore de leurs engins pétaradants. S’en est suivie une vie de saltimbanques, avec le camion pour domicile principal entre le printemps et la fin de l’été. « Une année, on est resté 3 mois dans le sud de l’Espagne, narre un Willy goguenard. On faisait une demi-heure de spectacle dans la journée, on était payé et le reste du temps, c’était plage et ski nautique. Que demander de plus quand tu as seize ans ? » Rien, si ce n’est d’éviter de perdre l’équilibre…

Artistes et astucieux mécanos
Ils préfèrent se pencher sur les réglages de leurs outils, les trois motos qui sont, avec eux, les stars de leur show acrobatique. La grimpeuse, celle à laquelle est arrimé le trapèze, c’est une Suzuki TU 250 Volty de 1998. « On n’a pas pris Volty pour voltigeur, plaisante un Willy jamais avare de bonne humeur. Avant, on faisait le show sur une 350 Jawa. Le cadre doit être robuste, en acier et pas en alu, car c’est le point d’ancrage du trapèze. D’ailleurs, on le renforce. Il doit supporter plus de 200 kg de charge à certains moments du spectacle. » Les Stey sont aussi bricoleurs que funambules. Ils ne disposent pas d’équipe technique, règlent eux-mêmes leurs machines, montent le mât, tendent le câble… Modeste famille, disponible et conviviale. Il leur faut une demi-journée pour s’installer tout en discutant avec les curieux. Sur la Suz’, les pneumatiques ont logiquement été démontés pour faire place à des jantes métalliques ressemblant aux roues d’un train, sur lesquelles on a rajouté une bande de caoutchouc d’un centimètre d’épaisseur. C’est le lien ténu entre le câble et la moto. « La Volty pèse 110 kg, poursuit David. La moto ne doit pas être trop lourde, mais l’ensemble conducteur-moto doit être plus lourd que le couple sur le trapèze. Sinon, on tourne, si on tourne on n’a plus de freinage, et on déjante. » Brrr… « Il est nécessaire de savoir manier le guidon pour monter là-haut, poursuit le conducteur de la TU 250. Le plus difficile à gérer, c’est le manque de repères. Quand on monte, le mât arrive très vite. » Le freinage, David le distille au guidon mais il est aidé par Willy, sur le trapèze : « Une corde me relie à la pédale de frein, explique l’acrobate. Je tire et ça freine, c’est utile quand David est arc-bouté au guidon. »

Looping aérien
Autre attraction, la moto à l’envers. Il s’agit d’une Suzuki 125 RM réalésée à 175 cm3. Elle coulisse sur le câble à l’aide d’une poulie, selon le principe d’une tyrolienne. « On a gardé les pneus de cross, mais la rangée de crampons du milieu a été coupée pour laisser coulisser le câble. Ils sont très peu gonflés. » Un petit réservoir a été installé à l’endroit (c’est-à-dire à l’envers de la moto, si vous suivez bien !), et les carburateurs ont été inversés. Ainsi, Willy peut grimper la tête en bas jusqu’à 30 mètres de hauteur. Faire le poirier et toutes sortes de bêtises. Cet homme qui décidément aime se mettre la tête à l’envers a également peaufiné le numéro du looping aérien : au faîte du mât qui sert d’accroche au câble des funambules, il a construit un cylindre métallique de 50 centimètres de large et 2,50 mètres de diamètre.

Une mini-moto de cross, une Kawa AR 80, est fixée au centre du cercle. Willy s’installe au guidon et tourne dans le cercle, comme un hamster dans sa roue. Mais bien plus vite… De quoi remettre les idées en place ? « Là-dedans, tu sais plus où t’es. Il faut bien compter les tours quand la moto est dans le bon sens, pour ne pas s’arrêter la tête en bas. Sinon, tu peux tomber de la bécane. » À 30 mètres de haut…

Huile bouillante
Les péripéties, ils ont connu ça. Des anecdotes à raconter, ils en ont par poignées. « La panne mécanique c’est ce qu’il y a de pire, explique David. En 1982, en Espagne, mon père conduisait une Bultaco sur le fil. Le moteur a explosé. Ma mère et ma tante étaient sur le trapèze, elles se sont pris toute l’huile bouillante. À peine descendu, mon père a viré le moulin et a adapté un bloc de Jawa beaucoup plus résistant. » Mais la hantise reste la casse de boîte de vitesses, car elle bloque la moto sur place. « On grimpait vers un clocher d’église à Pipriac, non loin de Rennes (Ille-et-Vilaine), poursuit David. La boîte de la Jawa 350 California s’est bloquée sans prévenir. Willy et ma mère étaient sur le trapèze. Tout le monde a failli être éjecté.
C’est tellement brutal qu’on n’a pas le temps d’avoir peur. Le réflexe, s’est de s’accrocher au moindre bout de métal que tu tiens, sinon tu voles. Cette fois-là, la figure était belle mais on ne l’a pas refaite ! En plus on est resté bloqué en haut, alors mon père nous a tirés avec une voiture à l’aide d’une corde. Nous avons réparé la boîte le soir et le lendemain, c’était reparti. »

Les deux frères exorcisent leurs aventures sur un ton léger, mais ils ont beaucoup de mal à évoquer l’accident qui a coûté la vie à leur sœur, en 1985. Le câble a rompu, alors qu’il avait été acheté neuf et expertisé en début de saison. Elle était sur le trapèze. Ils ont arrêté six mois mais toute la famille est repartie la saison suivante. « Ce métier, tu ne peux pas le faire à contrecœur, conclut David. Il ne faut pas se forcer. On fait les mêmes passes depuis des années mais à chaque fois c’est différent. »

Avenir en pointillés
La saison achevée, la famille entretient le matériel, fait de la mécanique et prépare de nouvelles attractions, toujours plus barges. « J’ai un projet, qui s’appellerait la moto tournante, explique Willy. Le but, c’est de la faire tourner latéralement autour du fil. Un tout-terrain léger, type 250 CR, ferait l’affaire. » Une surenchère pour continuer d’exister ? Il faut constamment innover afin d’attirer la clientèle. Les spectacles tels que ceux de la famille Stey ont de moins en moins la cote dans les services culturels des municipalités. « Il n’y a plus de place pour nous en centre-ville, déplore David. Il faut que ce soit propre, sans bruit, les droits de place sont exorbitants. Les mairies privilégient les associations, qui proposent des attractions bénévoles. C’est dommage pour le spectacle vivant. Les forains s’en sortent car ils sont soudés et puissants. Mais nous, nous n’avons pas de syndicat. » C’est d’autant plus dommage que même si David et Willy sont à peine quadragénaires, la relève est déjà assurée : leurs 5 enfants âgés de 8 à 18 ans grimpent déjà sur le fil. La légende de la famille Stey, funambule depuis plusieurs générations, n’est pas prête de s’éteindre.

Publicité

Commentaire (1)

Infos en plus