Si le scrambler est plus que jamais à la mode, c’est en grande partie l’œuvre de Triumph qui l’a réintégré à sa gamme néoclassique il y a 13 ans. Avec la Bonneville
900 Scrambler, les Anglais rendaient un vibrant hommage aux seventies, période où les jeunes Américains traversaient les déserts californiens à toute berzingue sur des motos de routes transformées en machines tout-terrain. Seuls soucis à la sortie du premier modèle en 2006, la faible puissance du moteur et des suspensions basiques qui ne permettaient pas d’encaisser ses nombreux kilos sur les chemins.
Avec cette Scrambler 1200, les ingénieurs brit’ ont cette fois opéré un triple saut en avant, façon supercross. Ils ont conçu un véritable trail aux attributs modernes, capable de s’attaquer au désert, tout en conservant les lignes délicieusement rétro qui ont contribué au succès de sa gamme « Modern Classic ». Néanmoins, pour atteindre cet objectif, ils ont créé un monstre aux dimensions ahurissantes ! Trônant sur un terrain d’entraînement destiné aux pilotes du Dakar dans le sud du Portugal, la nouvelle Scrambler 1200 impressionne par sa stature : son empattement est plus long que celui de la nouvelle R 1250 GS (1 530 mm) et sa selle plus haute de 30 mm (830 mm). Derrière la fine jante de 21 pouces portée vers l’avant par une longue fourche, le fan de la marque reconnaîtra la base élégante de la « Bonneville » et ce qui est sans aucun doute l’un des plus beaux moteurs de la production actuelle, à savoir, le bicylindre en ligne « High Torque » qui équipe aussi la Thruxton R. Autre signe particulier des scramblers britanniques : la magnifique double sortie d’échappement haute que bien peu de constructeurs conservent. Le cadre double berceau en acier tubulaire – efficacement protégé par une longue semelle – est prolongé par un bras oscillant aluminium de belle facture, pensé et renforcé, lui aussi, pour encaisser les chocs. Côté suspensions, on trouve deux amortisseurs à gaz d’une longueur pour le moins ahurissante et qui offrent, tenez-vous bien, 250 mm de débattement. « Quand on a vu que KTM sortait sa 790 avec 240 mm, il fallait que l’on fasse plus », m’explique Felipe, l’ingénieur châssis de la marque, avant de nous emmener dans une course effrénée à travers le sud du Portugal...
À peine en selle, j’évacue ma première crainte : le réservoir bombé de 16 litres et la selle sont assez affinés au niveau de l’arcade pour permettre à mon 1,75 m de poser les deux pointes de pieds au sol. Faudra quand même guetter le moindre dévers ! Les repose-pieds assez bas laissent un espace reposant aux jambes et aux genoux et la longue selle plate se montre aussi moelleuse que spacieuse pour rouler en duo. Le guidon « extra large » offre un bon bras de levier pour aborder les premiers virages. Avec autant de débattement et une jante de 21 pouces à l’avant, ma seconde crainte est de me retrouver au guidon d’un... camion.
Chevauchée fantastique
Certes, force est de constater qu’on domine la route comme perché en cabine, mais inscrire cet ensemble de plus de 220 kilos avec les pleins dans les virages n’a finalement rien de déroutant, au contraire. À un rythme coulé, la Scrambler XE est d’une grande stabilité et elle enchaîne les virages avec l’aisance d’une Africa-Twin. Sur les phases de gros freinages comme lors d’accélérations sèches dans les enchaînements, les suspensions travaillent évidemment sur une plus grande distance « en mode cheval à bascule » ; l’effet peut surprendre. Mais, dans l’ensemble, la Triumph assure et, protection mise à part, elle s’avère tout à fait capable de rivaliser avec de gros trails plus routiers... Son freinage, digne d’une sportive et assisté par un ABS sur l’angle, fait même mieux que de nombreuses concurrentes, tout en procurant d’excellentes sensations. Cette capacité à donner du plaisir, elle le doit principalement à son moteur. Avec 90 chevaux, et un couple impressionnant de 10 m.kg, il fait des merveilles en reprises tout en procurant la juste dose de vibrations entre les jambes, notamment grâce à son calage moteur à 270°. Embrayage souple (anti-dribble), boîte précise, injection parfaitement maîtrisée derrière ses faux carburateurs stylisés, crépitement et vrombissement via son magnifique échappement deux en deux, le moteur du Scrambler ferait un sans-faute si, et seulement si, sa sortie ne chauffait pas autant la jambe.
Happy trail
Redressons-nous donc sur les deux guibolles pour les refroidir, et bifurquons dans ce chemin escarpé pour voir si la Scrambler est aussi à l’aise pour partir à l’aventure façon Baja 1000. Pour ce faire, il faudra cependant s’arrêter, et reparamétrer correctement les suspensions à la main. La fourche Showa et les combinés Öhlins disposent en effet de deux réglages bien distincts pour la route et le chemin. Au tableau de bord TFT, on pourra passer en mode « Off-Road Pro » pour déconnecter toutes les assistances, ou passer sur le mode « Off-Road » simple pour conserver le contrôle de traction, une assistance qui fait des miracles pour conserver toute la traction nécessaire sur les sols compliqués et limiter les travers. Après l’avoir dûment testé et m’en être satisfait, je passe sur le mode le plus libre... « Oh put... ! » La Scrambler se révèle encore plus sauvage qu’elle n’en a l’air !
À la moindre sollicitation du poignet droit, la belle engage de longs travers faciles à maîtriser, tant la stabilité de la machine rassure. Dans les parties chaotiques sollicitant durement les suspensions, là encore la Scrambler fait bel effet. Ses combinés « deux amortisseurs en un » lissent tout et encaissent sans broncher, jamais ! Tant qu’il y a de l’élan et de la vitesse, elle avale tout avec aisance et stabilité... Mais dès qu’il faut « trialiser », comprendre rouler à petite vitesse, – comme il est plus prudent de le faire avec ce genre de machine lorsque l’on n’est pas pilote de rallye-raid – le poids, la longueur et la hauteur de la belle vous rappellent vite à l’ordre... La géométrie et la longueur de l’engin deviennent alors un inconvénient et rendent le train avant lourd. Dans le gras, celui-ci se dérobe alors plus facilement... Il faut alors un excellent physique et un sérieux bagage technique pour la rattraper dans ces conditions, comme vous pouvez l’observer dans notre vidéo d’essai, via le petit QR code prévu à cet effet !
Le verdict
Impressionnante, cette nouvelle Scrambler l’est à plus d’un titre. Certes son gabarit dans cette version XE limite son public par la taille, mais cela lui permet d’aller concurrencer sérieusement des machines dédiées à l’aventure en hors-piste. Et comme actuellement elle est la seule qui en est capable dans le segment rétro, elle incarne un nouveau créneau. Technicité et haut degré de finition induisent toutefois un tarif pour le moins élitiste, bien éloigné du concept originel du scrambler.