Mobilisation toute

En vue de cette gigantesque offensive, les usines anglaises et surtout américaines, produisirent, équipèrent ou recyclèrent des centaines de milliers de véhicules terrestres, maritimes et aériens, tant destinés au combat qu’au transport et à la logistique.
Parmi ceux-ci, la BSA M20 et la Harley WL sont les plus connues qui furent d’abord des créations civiles avant d’être militarisées pour les besoins de la cause. Ariel, Enfield, James, Matchless, Norton, Triumph, pour les anglaises et Indian pour les américaines furent également largement représentées.

Petit comparo entre Alliées

« Tu vas rouler sur la BSA », m’avait dit Bernard quelques mois avant, lorsque nous avions fixé ce rendez vous. « Tu verras c’est une machine adorable et facile à vivre. Pour la Harley c’est vraiment différent et nettement plus compliqué à prendre en main. »

Qu’on en juge… la Harley WL - celle de Bernard est un peu un hybride de modèle A et C - possède une poignée tournante de chaque côté, l’une pour gérer les gaz, l’autre l’avance à l’allumage. Les rapports se passent par levier de vitesse au réservoir à main gauche. Selon qu’il s’agit d’un modèle A ou C l’embrayage est au pied (WLA) ou à la main (WLC). Sur celle de Bernard il y a les deux. Ceci permettait aux soldats canadiens et européens, peu familiers des commandes à « l’américaine », d’être plus efficaces aux guidon de ces engins, pour le moins déroutants.

Big Mac

La grosse bête pesant entre 310 et 330 kg en ordre de marche, plusieurs heures d’apprentissage seraient au moins nécessaires à un néophyte pour être à même de parcourir sans trop galérer la soixantaine de kilomètres qui nous a conduit (et retour) à Longues. Ce site spectaculaire, se situe au delà d’Arromanches (14) jolie cité balnéaire ou fut installé le premier port provisoire de ravitaillement des troupes alliées.

Cela dit, aux mains de Bernard qui,malgré ses 81 ans, vous pilote ce poids lourd comme pas deux, la belle américaine semble beaucoup plus agile que ne le laissent supposer son volume et sa silhouette sculpturale, toujours trés impressionnants. Pas plus que La BSA, elle ne dispose de suspension arrière.
Sur les deux motos, seules les selles généreusement suspendues garantissent un minimum de répit aux lombaires sur de mauvais chemins. Sur les revêtements routiers récents, de nombreuses motos actuelles s’avèrent même beaucoup plus « tape cul ».

Au guidon de l’anglaise

« Voilà, tu pousses la manette d’avance jusque-là, tu montes le piston en compression. » Et là après un coup de jarret moins musclé que prévu, le monocylindre « latéral » gronde sur le coup de gaz puis prend son ralenti saccadé comme un rythme de jazz.
Comme c’est une anglaise d’avant 1975, le sélecteur au pied est à droite, la première est en haut et les trois autres en bas. Il faudra s’en souvenir, surtout au moment d’utiliser le frein moteur car, Bernard avait prévenu, le frein avant n’est plus qu’un très vague ralentisseur une fois passé 20 km/h. Un problème bien connu des propriétaires de BSA d’avant et même d’après guerre.

Cela ne peut se résoudre qu’en adoptant un tambour plus performant. Le tout est de savoir appréhender l’urgence et maîtriser le très efficace tambour arrière. Heureusement, et ceci se ressent dès les premiers kilomètres, ce moteur à soupapes latérales est d’une souplesse et d’une docilité incroyable. Presque un moteur de trial.
Malgré la puissance tout juste digne d’une 125 actuelle (13 ch à 4200 tr/mn), pour un poids de plus de 200 kg (jusqu’à 280 selon équipement) en ordre de bataille, le couple maxi très bas procure une motricité très volontaire.

Chacune ses avantages

Au moins en ville et en terrain scabreux, la BSA s’avère plus agile que la Harley dont l’empattement est beaucoup plus long. Sur route c’est une autre affaire, la Harley développe un couple important qui procure des accélérations beaucoup plus franches.
Le bicylindre latéral offre aussi une régularité de fonctionnement qui permet une vitesse de croisière proche du maxi en permanence, soit 90 à 105 km/h.

On le sent vite, la BSA n’aime guère être poussée à son 95 maxi. Elle est surtout à son aise entre 60 et 85 km/h au compteur de la BMW R 1200 GS accompagnatrice. Notre M20 militaire est dépourvue de tachymètre. À cette vitesse de gros cyclomoteur son bon gros poumon en fonte ronronne comme un bon matou bien content.

Autres temps, autres mœurs

C’en est un plaisir. A aucun moment on ne ressent l’envie de s’énerver . C’est une autre philosophie de la route en moto. La notion de vitesse y est remplacée par celle d’une sorte de force tranquille que seule la panne d’essence semble pouvoir arrêter. Vous n’êtes pas un missile dans le paysage qui vous le rend en vous offrant, pour peu, tout ce qu’il recèle d’intérêt et de beauté.

Vraiment sympa ce bout de côte entre Courseulles et Arromanches. Malgré la totale absence de suspension arrière et le très rudimentaire amortissement de la fourche avant, sur nos routes actuelles la tenue de route ne génère pas de mauvaise surprise, pourvu de monter des pneus de type relativement récents comme le fait Bernard.

À apprécier en temps de paix

Ancien pilote sportif polyvalent (moto-ball, cross, vitesse), il sait quand il faut faire le compromis entre authenticité et sécurité, ses motos étant d’abord et avant tout destinées à rouler.
Les dix ou quinze premiers kilomètres d’apprentissage passés et l’esprit de cette moto intégré, circuler tranquillement en M 20 sous le soleil est un pur bonheur motocycliste.
Pas sûr que ceux qui pilotèrent celle-ci sur des routes, pour ne pas dire des pistes douteuses entre 1940 et 1945, purent l’apprécier souvent de cette manière. Les civils qui en profitèrent à partir de 1936, peut-être un peu plus.

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