Mue par le bouillant LC8 de la gamme (course et alésage accrus pour développer 155 ch en version libre), cette KTM se pare d’un look radical aux lignes tendues et anguleuses, avec selle passager « en option », et d’une partie-cycle digne de la haute couture. Pourtant, sa position de conduite vivable est à l’opposé de cet aspect hostile. Un paradoxe, qualifié par nos soins de bienvenu pour un usage 100 % routier. Un peu plus au nord, la maison BMW a revisité sa R 1200 S à la mode HP (Haute Performance). Après l’enduro et le supermotard, la marque allemande loge son mythique bicylindre à plat dans une partie-cycle hyperlégère et aux commandes entièrement réglables. Un travail de fond qui paye sur la balance. Complètement retravaillé, le flat étrenne ici une nouvelle distribution à doubles arbres à cames entraînés par chaîne pour encaisser un régime de rotation qui flirte avec les 10 000 tr/min.
Enfin, pour en revenir aux références, pour ne pas dire aux instigatrices du genre, nous avons joint à l’essai la Ducati 1098 standard (pas de suspension Öhlins), ultime évolution de la lignée des 916, 998 et 999, ainsi que l’Aprilia RSV 1000. Deux motos qui ont toujours été commercialisées pendant ces années de « vaches maigres » et qui ont gagné, de longue date, l’estime des amateurs de twins sportifs.
Prise en main : Buell et KTM en tête.
Trois critères essentiels rentrent en compte pour bien appréhender les premiers mètres au guidon d’une nouvelle machine. Le poids, qui facilite les manœuvres ; la hauteur de selle ensuite, qui peut interdire, au pire, d’avoir les pieds bien au sol ; et la position de conduite enfin, qui se montre déterminante au quotidien, à basse vitesse et en milieu urbain. D’entrée de jeu, deux motos s’affranchissent sans mal de ce premier contact : la Buell et la KTM mettent en effet tout de suite à l’aise. La hauteur de selle rikiki et la position relax de l’américaine, ainsi que le faible poids doublé d’une position franchement routière de la seconde font que l’on se sent immédiatement en confiance. Derrière, l’Aprilia se rattrape avec une selle pas trop haute et une position typée sport mais sans excès… bien que la faible distance entre l’assise et les repose-pieds fatigue le conducteur. En revanche, la BMW impressionne avec son gabarit imposant et sa hauteur de selle élevée (830 mm). Mais le premier contact est rassurant, grâce un poids plume et une distance selle/repose-pieds importante, donc reposante. Enfin, la Ducati ferme la marche avec des demi-guidons qui obligent à bien basculer le buste vers l’avant. Son faible poids (moins de 200 kg) permet néanmoins de la manœuvrer sans angoisse.
Moteur : Une KTM efficace et une douce Aprilia.
Si certains bicylindres s’épanouissent surtout dans les très hauts régimes – en phase avec un usage piste –, ils risquent ici de peiner dans ce comparatif orienté vers un usage routier… Confrontés au sempiternel trajet autoroutier qui mène dans les Vosges, nous faisons rapidement ami ami avec les bons élèves en la matière. L’Aprilia fait merveille avec une mécanique exempte de vibrations, grâce à son efficace double balancier d’équilibrage. Un réel point fort quand les autres trépident à souhait, notamment à vitesse stabilisée (130 km/h), soit 4 200 tr/min pour la BMW et 4 900 tr/min pour l’Aprilia. Derrière, c’est effectivement le festival des fourmillements, BMW et Buell en tête, KTM et Ducati dans une moindre mesure. Mais toutes engourdissent mains et pieds au bout de 100 km. Pénible.
Une fois sorti de l’autoroute, on assiste à une complète redistribution des cartes. La RC8 reprend aisément la main, faisant l’unanimité des essayeurs. Gorgé de couple et disponible à tous les régimes, ce nouveau twin pousse brutalement malgré un bridage strict. On aimait le 990 de la marque, le 1190 est encore plus fou. Seule la sélection souffre de l’ajout de pignons renforcés qui provoquent craquements et claquements de par leur plus grande inertie. Derrière, la Ducati enchante aussi malgré ses gros échappements, véritables usines à calories. La rondeur de ce moteur, qu’Éric qualifie de « plein comme un œuf », est vraiment plaisante, tout comme sa sonorité. Mais il délivre sa puissance avec plus de progressivité que l’autrichienne malgré une poignée à tirage plus court. Ce twin s’appuie aussi sur l’efficacité parfaite de sa sélection, si l’on prend soin de mettre légèrement la pression sur le sélecteur avant d’attraper l’embrayage.
Le bouilleur de la RSV 1000 passerait presque inaperçu si Catherine ne rappelait pas à la petite troupe (et avec insistance) l’étonnante facilité d’utilisation et la disponibilité du plus vieux twin du comparatif (moteur remanié en 2006). Effectivement, pour enrouler les courbes à bonne allure, le bicylindre italien fait de l’onctuosité sa marque de fabrique. Il pousse sans esbroufe mais très efficacement. Ne souffrant d’aucun à-coup à la remise des gaz et profitant d’une sélection précise, il tient d’ailleurs la comparaison avec les meilleurs twins précédemment cités. Derrière, la BMW déçoit un peu malgré un coffre intimidant à la remise des gaz. Ce moteur pâtit plus que les autres du bridage et semble rechigner à monter en régime, ce qui n’est pourtant pas le cas à la vue des résultats des tests de reprise. C’est regrettable car la présence d’un vrai « shifter » sur la boîte de vitesses permet de monter tous les rapports sans toucher à l’embrayage, comme sur les machines de course. Une spécificité qui suscite des louanges, même si certains peinent, comme Gilles, à lui trouver une réelle utilité sur route.
Enfin, le berlingot Rotax de la Buell souffle le froid et le chaud. Joueur et puissant à l’accélération d’un côté – malgré des vibrations à gogo – il rechigne de l’autre à évoluer à bas régime où de forts à-coups le pénalisent. Le pilote doit alors user de la boîte de vitesses, ce qu’il évite pourtant de faire pour ne pas subir les claquements ! Pour ne rien arranger, l’adoption d’un régime régulier est aussi entravée par de perpétuelles hésitations du système d’injection. Seules des accélérations franches atténuent le phénomène. Heureusement…
Ce constat prend à revers notre précédent galop d’essai de cette Buell où les à-coups d’injection n’étaient pas présents. Les préparations des motos seraient-elles inégales ? Dernier point, l’emplacement du twin américain derrière l’énorme cadre alu (qui fait toujours office de réservoir) génère une épouvantable chaleur, que le ventilateur diffuse… sur le pantalon.
Nos cinq mécaniques offrent donc un panel de caractères très large, mais notre préférence va à celle de la KTM pour l’efficacité et à celle de l’Aprilia pour le confort d’utilisation.
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Comportement : douce Aprilia… bis.
S’il est difficile de mettre à l’index une de ces machines pour « mauvais comportement », on peut tout de même dégager une hiérarchie entre ces protagonistes. Si toutes s’inscrivent sans peine en courbe, on développe cependant un effort différent pour arriver à ce résultat. Sorti du petit-déjeuner avec des muscles encore en forme, on prend plaisir à emmener la Buell vers le ballon d’Alsace. Pourtant, virage après virage, une certaine lourdeur vient titiller les biceps. Malgré des demi-guidons plutôt écartés augmentant le bras de levier, la 1125 R reste une machine au train avant lourd, assez physique à guider. La Ducati joue aussi les fortes têtes, mais pas pour les mêmes raisons. Sa géométrie affirmée de « pistarde » n’est pas une sinécure sur route. Basculé sur des commandes très basses, on a réellement l’impression de tenir l’axe de roue avant avec les mains. Alors quand la route fraye entre les sapins, on sue sang et eau pour suivre le rythme… Et l’on est même tenté de déhancher légèrement pour aider la machine à s’incliner. Derrière, la HP2 Sport se montre elle aussi assez exigeante. Comme toutes les motos longues (1 487 mm d’empattement contre 1 380 mm pour la KTM), elle souffre d’une légère inertie à la mise sur l’angle, « point dur » qui s’estompe une fois la moto sur son cap. C’est un phénomène à assimiler avant de pouvoir s’amuser à ses commandes.
Reine du compromis, l’Aprilia brille encore sur ce chapitre avec une inclinaison aisée et un comportement neutre dans les enchaînements. On ne se bat jamais avec les bracelets et elle suit à la lettre les ordres du regard. Un point fort amplement partagé par la KTM qui signe ici encore la « pole » avec un train avant ultra-facile à guider, et très précis. On ajoute à cela une position de conduite reposante et l’on s’imagine aisément suivre sans fatigue la ligne bleue des Vosges du nord au sud.
Il est bien rare de rencontrer sur circuit un bitume boursouflé par les racines des arbres ; pas sur nos départementales ! Alors à force d’avoir la « pulpe » secouée en tous sens, on finit par prêter attention au travail des suspensions. La RC8 et la 1098, ainsi que la 1125 R, ne jouent pas franchement la carte de la douceur, tant sur les petits chocs que sur les gros, et elles n’hésitent pas à vous faire remonter les informations « sans filtre » jusqu’au postérieur. La RSV et la HP2 savent en revanche prendre des gants avec le pilote. La BMW, avec son système ESA réglable d’une simple pression du pouce et l’italienne, avec des amortisseurs de très bonne qualité, gomment toutes les petites déformations.
Enfin, si Juan Manuel Fangio disait « qu’un véhicule est fait pour avancer », nous nous devons tout de même de porter un jugement sur le freinage. Et sur ce point, la Buell déçoit. Si son monodisque pincé par un étrier à 8 pistons stoppe correctement l’équipage, il manque franchement de confort sur toute la course du levier. Et l’attaque est trop brutale alors qu’il faut tirer fort pour obtenir toute la puissance. Pénible. Chez les rivales, difficile d’émettre des critiques. Toutes embarquent le meilleur matériel et cela se sent. Feeling et précision sont au menu, et appréciés.
Verdict
Difficile de cacher notre plaisir au guidon de la KTM. Révélation de ce comparatif, elle ne pèche sur aucun chapitre et s’attire la sympathie de l’ensemble des essayeurs. Pourtant, son look ne fait pas l’unanimité, contrairement à la Ducati. Mais cette autrichienne frappe fort avec une position de conduite reposante, un moteur fougueux et une partie-cycle aussi facile que précise. Certes, son prix (16 250 €) n’est pas doux, mais il la place tout de même dans la moyenne. Derrière, l’Aprilia (14 999 €) brille par une facilité d’emploi à toute épreuve. Sa position de conduite a beau être plus physique que celle la KTM, elle n’est pas un obstacle pour rouler sereinement grâce à un moteur docile et plein à tous les régimes ainsi qu’avec une partie-cycle confortable et précise. Appréciée pour sa qualité de sa fabrication et sa finition irréprochable, la BMW HP2 Sport brise en mille morceaux l’image de moto à papa qui colle souvent aux 2-roues bavarois. Ici, on est en présence d’une vraie machine de course (le remplacement des pistons et coussinets de bielles à 50 000 km en est aussi, et hélas, la preuve) et sur route, il faut un minimum d’expérience pour en profiter pleinement, le train avant de type Telelever gommant les sensations par rapport à une fourche traditionnelle. Son plus gros défaut ? Un tarif lui aussi de compét’ (21 300 €).
Dans la même veine, la Ducati 1098 (17 415 €) peine à mettre à l’aise avec une position de conduite vraiment radicale et une partie-cycle exigeante. Avec elle, il faut absolument savoir où l’on veut passer car toute hésitation peut se terminer par un joli « tout-droit ». C’est dommage car son bicylindre est une usine à sensations et son look enchante. Enfin, la Buell 1125 R marque le pas à cause de petits maux que le constructeur pourrait aisément corriger, comme la valse-hésitation de son moteur à vitesse stabilisé ou le manque de feeling du freinage. Mais cette machine possède de vrais atouts, comme une position de conduite agréable, une mécanique performante à l’accélération et une tenue de cap sans reproche. À 12 695 €, elle est la moins onéreuse de ce comparatif. Un argument de poids face à ses rivales.
Avec la participation de Catherine Druelle, Gilles Larue, Éric Lacoste et Frédéric Napierala.