En toute logique, beaucoup de concentres sont organisées un peu partout en France. « C’était pour échanger nos expériences, voir d’autres motos… Pour beaucoup de types qui venaient de province, c’était aussi une bonne occasion de se sentir moins seuls. On revenait toujours boostés des concentres », explique Michel, qui a bien connu cette époque. C’est dans ce contexte, et peut-être pour permettre aux motards français qui ne peuvent pas se rendre à la célèbre concentre des Éléphants, que le MC95 décide d’organiser une hivernale dans l’Hexagone. Voici l’invitation de Michel Perdrix, président du club, lancée à la fin de l’été 1969 par voie de presse : « Motocycliste… Toi qui aimes ton indépendance, rouler hiver comme été, faire des kilomètres pour le plaisir de rouler le nez au vent, pourquoi ne viendrais-tu pas me rejoindre au Plateau de Millevaches les 6 et 7 décembre 1969 ? Nous nous y retrouverons nombreux pour y fêter notre culte du deux et trois-roues. Pour cela, il n’est besoin que d’apporter sa passion et sa moto. Je t’attends donc le samedi 6 décembre au Mont Audouze (près de Meymac – Corrèze). » Cette première édition connaîtra une participation honorable et restera à jamais gravée dans les esprits à cause de conditions météo exécrables. La concentre continuera pendant dix ans et s’arrêtera en 1979. Ce n’est qu’en hiver 2009 qu’elle renaîtra après trois décennies d’interruption, sous l’impulsion du MC de Meymac.

En route pour le plateau de Millevaches. Bien décidés nous aussi à faire le « pèlerinage » hivernal 2010 jusqu’au plateau de Millevaches, c’est avec un side-car Ural que nous choisissons de faire la route depuis la bonne ville d’Avignon. Vu la vitesse de pointe de l’engin, la décision est prise de tracer un itinéraire via les petites routes des Cévennes, de l’Aubrac et du Parc des volcans d’Auvergne. Soit deux jours de navigation (en partant l’après-midi). Mais qu’importe, la montagne, les virages ou encore le froid ne font pas peur à notre side russe : « Après tout, il est conçu pour ça et puis on pourra visiter des coins que l’on ne voit jamais l’hiver », remarque Didier alors que nous achevons de le harnacher. Direction Alès, donc, et la belle N106 qui serpente entre les corniches rocheuses et les vallées jusqu’à Florac puis Mende. À part quelques gros camions qui transportent du bois, il n’y a pas grand monde sur cette belle route. Heureusement, car chaque dépassement est une sorte de pari : nous sommes chargés et les reprises du bon vieux flat soviétique sont laborieuses, pour ne pas dire « assez molles »… Mon compagnon de route est au guidon et je perçois du coin de l’œil sa jubilation.

Le side, les hivernales, la route en hiver, « c’est son truc »… Quant à moi, assis dans le panier et sans pouvoir faire autre chose qu’admirer le paysage, je commence à avoir sacrément froid aux pieds. À la tombée de la nuit, la température baisse et il est temps de se recharger en calories. Ce sera dans le village de Chanac (Lozère), à l’auberge Lu Cantou. À part Pierre, un habitué, il n’y a que la patronne et son fils dans la salle. À leur regard, on comprend qu’ils se demandent quelle mouche a bien pu piquer ces deux types ainsi fagotés, en plein hiver et avec leur engin improbable. « On n’a pas trop l’habitude de voir des motards par ici à cette saison. La migration, c’est plutôt en mai, lors du Trèfle lozérien ! », s’exclame Pierre. On s’explique et le reste de la soirée passera… à discuter moto. Tout au long du parcours, sans trop savoir si c’est à cause du side, de l’hiver ou des deux à la fois, nous ne cesserons ainsi de voir des gens venir spontanément vers nous.

À cette époque de l’année, outre les paysages qui montrent toute leur beauté originelle, les contacts sont inversement proportionnels à la température, simples et directs, bien différents de ce qu’ils peuvent être en été. C’est alors une tout autre réalité – souvent inattendue – qui se révèle à nous. À Nasbinals par exemple, lors d’une halte pour goûter l’aligot de l’auberge de la Route d’Argent, on découvre que les enfants de l’école mangent au restaurant du village. Plus loin, pour faire le plein, on nous dit qu’il faut sonner chez la propriétaire… Outre la rudesse du climat (le thermomètre affichait tout de même -7 °C) l’hiver, sur ces petites routes de l’Aubrac, réserve en effet quelques surprises moins agréables comme la rareté des pompes à essence ! Un problème, sachant que notre Ural est loin d’être un chameau, problème que nous avions toutefois anticipé avec un bidon de secours qui se révélera salvateur.

Avec les autres. Après avoir traversé le sud du Parc des volcans d’Auvergne par Murat et Riom-ès-Montagnes, voici enfin le village de Meymac où se tient la concentre. Devant la salle des fêtes, qui tient lieu d’accueil, les participants sont déjà nombreux, venus en groupe, en solo, du Nord, de l’Est, en side-car et même en mob… Plus loin, sur le site de la concentration, situé à plus de 1 000 mètres d’altitude, les tentes de ceux arrivés la veille pointent leurs piquets. Le terrain de 12 hectares ne mettra pas bien longtemps à se remplir. À l’entrée, Jean-Louis Costes, alias « La Fourme », grand amateur d’hivernales, nous annonce au moins 3 000 participants. On le croit volontiers. Daniel, le boss de la concession Ural basé dans le Puy-de-Dôme, est venu avec une vingtaine d’amis et clients, tous en side Ural : « Dommage que la neige ne soit pas au rendez-vous. Mais déjà, retrouver les amis des concentres hivernales suffit au plaisir ! » Et apparemment, « les amis » ne manquent pas ! Rare sur les routes, un side Ural est ici presque banal.

Tout un espace est investi par sa troupe et les autres membres de l’amicale. Mais il y a aussi des espaces pour les MZ, les anglaises, les italiennes… Millevaches est une grosse concentre et en conséquence, on se regroupe par famille, association, moto-club ou encore type de moto. Quant aux solitaires, ils ne le restent pas longtemps et des groupes se forment spontanément. Philippe par exemple, venu de Poitiers avec sa Transalp, a planté sa tente à côté de celle de Michel et sa vieille BMW. C’est ensemble qu’ils dégusteront ce cru 2010 des Millevaches avant de partager leur repas avec d’autres voisins venus de Bretagne. « C’était ça, l’esprit des concentres dans les années 70, nous dit Philippe, venu de Charente. On n’était pas très nombreux à l’époque à faire de la moto et souvent on venait seuls. C’était l’occasion de voir des motos comme dans un salon, mais aussi de se faire de nouveaux amis. » La buvette (et son vin chaud…), exceptionnellement nommée « abreuvoir », fait office de place du village et de lieu de retrouvailles. On y parle de moto bien sûr, de concentres, mais aussi du voyage pour venir jusqu’à ici.

Une fête tranquille. Jessica, Brestoise propriétaire d’une Honda NTV 650, s’était jurée « d’en être ». Mais, au chômage depuis un petit moment, elle n’avait pas les moyens de se payer le voyage. « À tout hasard, j’ai mis une annonce sur le forum du site. Philippe, qui a un side BMW/EML, s’est proposé. J’ai fait du stop jusqu’à chez lui à Lorient et nous voici. Le voyage a été super et je crois même que c’est tout aussi important que la concentre elle-même. » À l’entendre, on ne peut s’empêcher de penser au « pèlerinage » de toutes celles et ceux qui sont venus parfois de très loin à dos de 125 cm3 ou de Mobylette. Gérard, par exemple, est arrivé de Montgeron (Essonne) au guidon d’un Honda CG 125 de 1999 qui affiche 67 000 km au compteur : « Maintenant que je suis à la retraite, je fais deux ou trois hivernales par an. Si je roule en 125, c’est tout simplement parce que j’aime prendre les petites routes avec cette moto, mais aussi parce que lorsqu’on tombe on se fait moins mal ! » Pour les plus jeunes, ceux qui n’ont pas vécu les années 70, venir ici c’est s’imprégner des valeurs qui ont fondé l’esprit motard. Hervé et Olivier par exemple, découvrent pour la première fois les Millevaches. Membres du MC Passemontagne, ils viennent des Ardennes et ont déjà à leur actif bon nombre d’hivernales comme les Éléphants ou les Pinguinos. « On est ici parce que le Millevaches est une sorte de mythe. Ce qui est bien, c’est l’esprit qu’y règne. Cela ressemble à nos concentres dans le Nord où l’on n’a pas d’autre but que de se retrouver, sans intérêt commercial. Aux Éléphants par exemple, il faut payer son bois… » Dans le campement, une incroyable tranquillité règne. Le soir, autour d’un feu, on rigole, sans burns, concert rock ou autres excès. Ici, personne ne veut de ça. Ce qui réchauffe est ailleurs ! Le lendemain matin, il n’y a toujours pas de neige, mais le froid est intense, avec en prime un brouillard qui couvre le plateau et givre les arbres. C’est le moment du départ, de quitter ce lieu magique, les amis et tous ces bénévoles du MC de Meymac qui n’ont pas ménagé leur peine. Avec un moral au plus haut. C’est dire que, contre toute attente, la route du retour passera comme une lettre à la poste !

Remerciements à Classic Bike Esprit, concessionnaire Ural à St-Rémy-de-Provence (13), pour le prêt du side Ranger (www.jebike.com

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