Passé Bayeux en direction de Ste-Mère, de plus en plus de jeeps, command cars et autres GMC conduits par des collectionneurs grimés en anciens GIs vadrouillent de-ci de-là, mais toujours point de moto.
Enfin, au détour d’une grande courbe, arrêté entre un transport militaire Chevrolet servant de véhicule balai et le guide 4x4 moderne martialisé kaki, le cortège est là.

La grande patrouille

Une centaine de motos roulant ensemble et très groupées sont toujours très impressionnantes. Quand il s’agit d’anciennes militaires avec leurs pilotes plus ou moins authentiquement costumés, l’effet, même à l’arrêt, est encore plus saisissant.

Le cortège s’ébroue dans lequel nous naviguons. Comme annoncé par les organisateurs, le gros de la troupe est constitué de 750 latérales bicylindres en V Harley-Davidson : des types WLA et WLC. Quelques modèles civils, des WL dont sont issues les A et les C les accompagnent. Les autres machines sont des BSA des Royal-Enfield, des Ariel et des Matchless, qui équipaient le 6 juin 1944 les troupes anglaises. Prises de guerre sans doute, quelques flat twins Zundapp et BMW de l’armée allemande sont aussi de la grande patrouille.

Tout cela bruite, éructe, fume un peu, beaucoup, passionnément l’huile, mais file néanmoins un bon soixante-dix compteur. Comme il y a 65 ans, les WLA de « Military Police » et de « Convoy Follows » (suiveur de convois) assurent le serre-file, la liaison et, quoique de manière fort civile, un tantinet de discipline.

Le champ d’honneur

Une bonne heure et demie plus tard est en vue le clocher de Sainte-Mère-l’Eglise. Les bécanes pénètrent sur le terrain réservé aux collectionneurs et exposants de véhicules et autres matériels militaires. Un véritable champ d’Ali Baba pour les amateurs du genre. Étonnant ce que l’être humain est capable d’inventer s’agissant de combattre et occire son prochain. Pas trop ici d’engins directement tueurs tout de même. En rappel, c’est le début de la fin de la guerre, donc le retour de la paix que l’on fête.

Certains se sont appliqués à reconstituer de véritables bivouacs de campagne. Hormis quelques visiteurs, presque tout le monde dans ce périmètre est costumé et joue, tout de même sans trop de sérieux, un rôle qui se pourrait retrouver dans « Le Jour le plus long » ou « Un Pont trop loin » et autres grands classiques. Parmi ces participants, dont la majorité sont tout de même trop jeunes pour être nés même durant la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), passe parfois un authentique vétéran. L’un de ceux que l’on honore officiellement devant de vrais soldats américains d’aujourd’hui, figés au garde-à-vous, des « officiels » civils et militaires de toutes sortes et force photographes, cameramen et preneurs de sons accrédités.

Entre ce champ d’honneur et l’accès au centre ville se tient un mini village commercial ou l’on trouve aussi bien du cidre de Normandie, le stand d’un neutralisateur d’armes anciennes que ceux de divers corps d’armée française vantant la carrière à qui serait tenté de s’engager. Pendant ce temps, quelque part sur la côte, Obama se recueille, dans un immense et magnifique cimetière peuplé de millier de croix blanches, d’étoiles aussi, de ceux qui moururent avant d’avoir vu la libération de notre pays.

Fêtes de la Libération

En attendant la balade des bécanes, tout à l’heure, les motocyclistes du D Day s’égayent à pied dans Ste-Mère fermée à toute circulation automobile. C’est qu’il y a foule dans le coin. Surprise du commandement en chef, ce ne sont pas les bécanes de « 39-45 » qui campent sur la place sous les ombrages, mais les rutilantes Electra, Road King et autres Heritage d’un nombre respectable de membres du Hog (Harley Owners Group). Mouais bon ! À la paix comme à la paix, après tout. Pas tout à fait, tout de même, ces commémorations ont attiré beaucoup de monde.

Tout endroit offrant la moindre possibilité de restauration est repérable par une queue digne de l’occupation. Les tickets de rationnement en moins, la bonne humeur et les chiens en plus, cela vaut pour les nombreuses rôtisseries ambulantes comme pour les boulangeries et boucheries charcuterie, sans même parler des restaurants. C’est que l’on ne fête pas rien ici. Le 6 juin 1944, à l’aube, Sainte-Mère-l’Eglise est la première ville française libérée par les parachutistes américains du 82e Airborne. Ainsi entré dans l’histoire, la très grande Histoire même, ce gros bourg normand est mondialement connu.

Il fait en grande partie son beurre du tourisme afférent. En souvenir de l’atterrissage scabreux sur le clocher du soldat John Steele, la copie de son parachute et un mannequin y est toujours accrochés. Pendant quelques moments, le bougre, le vrai, n’a pas dû être à la fête. Pour l’heure, celle-ci bat son plein. Sous le regard assez indulgent de soldats et touristes étasuniens, l’orchestre tente avec plus ou moins de bonheur et beaucoup trop de synthétiseur, quelques standards de country. Il mixe même le fameux « In the Mood » (1939) de Glen Miller avec le non moins fameux « Be bop a lu la » écrit en… 1956. Chauffe Marcel ! À la paix comme à la paix, cela n’empêche pas les danseurs de danser, ni certains vétérans encore très verts de faire swinguer leur promise, non mais !

Band of brothers

Laissant à leurs danses et à leurs agapes les piétons et les fantassins, les motards kickent enfin leurs rustiques engins pour une nouvelle reconnaissance, sur la côte cette fois. Un arrêt est prévu à Quinéville, devant le musée mémorial. Ce bourg côtier ne fut libéré avec difficulté que le 14 juin 1944, tandis que les Alliés partaient à la conquête de la presqu’île du Cotentin pour s’assurer du port de Cherbourg.

À ce moment, une bande de copains amateurs de WLA et C nous demande de les photographier. Motif : il y a 20 ans, les mêmes participaient déjà ici à la même commémoration et avaient déjà pris une image de groupe. « S’il faut attendre 20 ans pour refaire la prochaine, je ne suis pas certain d’être au rendez-vous », plaisante l’un d’eux. Belle lucidité, car, il est vrai, la moyenne d’âge de la plupart de ces collectionneurs d’engins de la Seconde Guerre mondiale oscille entre 50 et 60 ans. Les quarantenaires et, moins encore les trentenaires, ne sont pas très nombreux.

Quant aux vrais participants survivants, les vétérans, ceux qui avaient à peine 20 ans en 1944 ont aujourd’hui 85 ans. Ils ne sont déjà plus tant de par le monde. Peut-être ne faudra-t-il pas attendre trop longtemps pour leur rendre un prochain aussi vibrant hommage. Quelque Jeeps s’aventurent sur la plage pour une séance photo souvenir, un photographe occasionnel peste contre la présence de chars… à voile. D’aucun participant en kaki lui rappelle, hilare, qu’en temps de paix c’est plutôt ce genre de char-là qui est vraiment tendance par ici.

Après quoi la colonne regagne le site de Sainte-Mère sans s’arrêter à travers quelques villages et hameaux de la côte ou certains habitants, du pas de leurs portes, adressent des saluts amicaux. Les même signes, qui sait, étaient ils adressés par leurs ascendants de l’époque aux authentiques motocyclistes alliés.

Publicité

Commentaire (0)

Infos en plus