Mais il faudra attendre mars 1969 pour découvrir en vrai celle dont tout le monde parle déjà comme d’un phénomène. La présentation française se déroule au Pré Catelan, dans le bois de Boulogne, lieu chic s’il en est. Devant les photographes, Jean-Pierre Beltoise, Guy Marchand, Frank Alamo, Jean-Paul Belmondo et de nombreuses autres personnalités se font voler la vedette par la machine imposante. Elle en jette avec son moteur en alliage, ses quatre silencieux chromés à contre-cônes, son frein à disque hydraulique et sa robe vieil or qui témoignent d’une qualité de finition remarquable. Elle incarne la technologie, la puissance, la vitesse. Pour tous ceux qui aiment la moto, c’est comme un rêve devenu réalité...

Premiers essais prometteurs
C’est encore Moto Revue qui a la primeur de dépuceler la 750 Honda dans son numéro « Spécial été 1969 », sous la plume de Gilles Mallet, qui loue la facilité de prise en main faisant oublier ses 200 kg dès qu’elle roule. « N’importe quel frais émoulu du permis A peut se lancer sans crainte en ville comme sur route », écrit-il. Le journaliste détaille longuement l’excellence de la finition et la confiance qu’inspire une technologie avancée, mêlant judicieusement la technique automobile et moto. À l’épreuve de la route, Mallet témoigne d’un « moteur à la souplesse remarquable », de montées en régime puissantes avec « les chevaux qui pointent au complet à partir de 5 000 tr/min », de reprises nerveuses... Il s’étonne presque que le moteur ne fasse preuve d’aucun échauffement, gardant un ralenti stable et feutré. Le confort, un peu sec en solo, est considéré comme l’égal d’une BMW en duo, une sacrée référence à l’époque.

Concernant la partie-cycle, il s’émerveille de la tenue de route « où tout passe sur un rail », de la suspension et de la garde au sol en virage et, surtout, du frein avant « progressif et puissant, d’une agréable fermeté ». C’est vrai que la grande majorité des motos d’alors sont encore équipées de freins à tambour sujets aux blocages et à l’échauffement. Au chapitre des regrets, il déplore la trop grande taille du guidon, qui génère une importante prise au vent... Quant aux reproches, ils viendront de son collègue Christian Bourgeois, qui ne parvient pas à dépasser 178,2 km/h en position allongée lors de l’essai sur le circuit de Montlhéry : « Pour une machine donnée pour 200 km/h, c’est bien peu. » Quarante ans plus tard, comparé à ce dont est capable le moindre roadster 600 cm3 de moyenne gamme, on peut émettre un jugement plus critique en reprenant les commandes d’une « quatre-pattes », même restaurée de A à Z. évidemment, quarante ans plus tard, l’unique frein à disque est à peine au niveau d’une machine bas de gamme (à l’époque, beaucoup le doubleront). Le moteur, s’il conserve des performances honorables, n’a plus grand-chose d’impressionnant.

La machine est lourde et sa la partie-cycle louvoyante est loin d’être rassurante. Objectivement, il faut reconnaître qu’une Moto Guzzi V7 Special fait aussi bien, et qu’une Laverda 750 SF ou une Norton 750 Commando font encore mieux sur ce point. La BMW R 75/5 se révèle aussi fiable... Elle a peut-être un peu moins d’allonge sur autoroute, mais elle est beaucoup plus maniable et légère en montagne, tout comme les 650 cm3 anglaises BSA A65 et Triumph Bonneville T120. Mais ces dernières ne démarrent qu’au kick, elles sont dépourvues de clignotants faute d’un circuit électrique puissant, elles nécessitent des réglages incessants qu’ignore la grosse Honda... Et on va s’apercevoir, à l’usage, que mis à part une propension à détruire sa chaîne de transmission secondaire en moins de 15 000 km, la CB 750 est capable d’avaler un tour de compteur sans rencontrer le moindre souci : cette fiabilité digne d’une Peugeot 504, cette facilité à abattre un Paris-Marseille au même rythme qu’une Citroën DS... C’était vraiment nouveau à une époque où l’on ne parcourait que rarement plus de 50 000 km sans avoir à ouvrir un moteur, ne serait-ce que pour nettoyer l’épurateur centrifuge du vilebrequin si ce dernier n’avait pas « descendu » ses coussinets de bielles avant.

Une grande polyvalence
En attendant, un autre événement survenu en 1969 va mettre en avant le formidable potentiel de cette machine : la victoire remportée au Bol d’Or par l’équipage Rougerie-Urdich sur une CB 750 quasiment de série, si ce n’est le montage d’un deuxième disque à l’avant, de commandes reculées et d’un accastillage (guidon, selle, réservoir, carénage) adapté à la compétition. Cette formidable polyvalence qui lui permet de se plier à tous les usages, c’est encore les acheteurs qui vont la démontrer. Sur la route des concentres (comme les Chamois de Val d’Isère ou les éléphants qui se tiennent en hiver sur le circuit du Nürburgring), en solo ou attelée, celle qu’on appelle la « 750 Four » est de toutes les virées. On la retrouve aussi dans les paddocks des épreuves sportives régionales, de la course de côte au Critérium 750 au retour duquel ses pilotes remontent le phare, les clignotants et les pots pour aller bosser avec toute la semaine... Dans le mensuel Champion, Christian Lacombe lui décerne carrément le titre de « moto du siècle » ! Bref, en quelques mois, sa popularité est immense, d’autant qu’elle met à la portée de tous, fussent-ils de simple salariés allant souscrire leur premier crédit pour se l’offrir, la technologie du quatre-cylindres en ligne jusque-là réservée à quelques rares motos de Grand Prix (Honda, MV-Agusta, Gilera, Nougier).

Un concentré des meilleures solutions
Sa technologie, parlons-en justement : tout bien pesé, son quatre-cylindres de 67 chevaux à simple ACT n’a finalement rien d’extraordinaire, pas plus que son frein à disque hydraulique, qui équipe déjà de nombreuses automobiles. Et son démarreur électrique ? Les Guzzi Nuovo Falcone et V7, la BMW 750 Série 5 et pas mal de moyennes cylindrées japonaises en sont déjà pourvues. Ses performances alors ? Là encore, la 750 Triumph T150 n’a rien à lui envier, sans oublier la 1000 Vincent Rapide, la Velocette 500 Thruxton ou la Kawasaki 500 Mach III, qui faisaient encore mieux à plus de 200 km/h ! Oui mais c’étaient des motos d’exception, résultant d’assemblages compliqués, délicates à entretenir, chères et difficiles à conduire (pour ne pas dire à piloter)... Ce qui va permettre à la Honda de les surclasser, c’est qu’elle est simple, très bien construite et abordable : elle rassemble en une seule machine chacune de ces caractéristiques, qu’elle propose au plus grand nombre pour un prix inférieur en grande série, en s’appuyant sur un réseau de professionnels aussi efficaces que bien formés. On peut dire que la CB 750 est à la moto ce que la traction avant Citroën fut à l’automobile 35 ans plus tôt, en apportant la carrosserie monocoque, les freins hydrauliques sur quatre roues indépendantes et un moteur à soupapes en tête... La « quat’-pattes » est simplement celle que tous attendaient.

Dans l’histoire de la moto avec un grand « H », il y a un AVANT et un APRES la Honda CB 750... Et les vieux engrenages en furent plus que brisés : elle les a laminés.

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