Comparatifs

Du côté des pouvoirs publics, le son de cloche est pourtant différent. Montrées du doigt comme des briseuses de statistiques (sans fondement), elles sont condamnées comme les hypersports à ne pas dépasser les 100 ch. Ce qui nous amène aujourd’hui à une situation absurde : la Kawasaki a perdu près de 50 % de sa puissance ! Certains esprits chagrins diront que c’est suffisant pour la route. Soit. Mais pourquoi seule la France tient-elle à cette mesure ? Pourquoi l’État ne se penche-t-il pas plutôt sur la formation des futurs motards ? Trop coûteux ?

Mais revenons à nos montures. L’arrivée sur le marché de la ZZR 1400, héritière de la célèbre ZZR 1100 déjà propre à affoler les compteurs, relance une catégorie qui oscille entre efficace sportive et rapide GT. Face à elle, les deux références en la matière. Tout d’abord la Honda CBR 1100 XX qui revendiquait déjà 150 ch à sa sortie en 1996 dans sa version à carburateurs. Et la Suzuki GSX 1300 R Hayabusa, forte de ses 171 ch en version libre, qui défraya la chronique en 1999 en atteignant les 300 compteur. Même si ses ventes s’avèrent modestes (436 unités vendues en 2005), la Hayabusa a vu naître un club de passionnés et les modèles d’occasion s’écoulent sans mal, et particulièrement les premiers millésimes avec le compteur gradué jusqu’à 340 km/h. Un mythe vivant.

Prise en main : respect

Les hauteurs de selle ne causent pas de mauvaises surprises. La Hayabusa est aussi accessible qu’une Yamaha 600 Fazer, la ZZR propose une assise qui n’excède pas 790 mm et vient compenser la largeur de selle importante. Mais attention, on n’enfourche pas une ZZR 1400 comme une basique de moyenne cylindrée. Ce type de monture demande un minimum de vigilance avant d’être déplacé, moteur coupé ou sur le ralenti, d’autant que le poids sur l’avant (51 %) rend les directions lourdes. Les 250 kg de la bête peuvent vite se retrouver sur le flanc et eu égard au prix des pièces, mieux vaux se méfier. Sur la Kawasaki, il faut également prêter attention à la largeur importante au niveau des rétroviseurs en sortant du garage comme dans les embouteillages. Notons aussi qu’ils sont difficilement réglables une fois en selle. En revanche, dès que les engins prennent un peu de vitesse, les parties-cycle équilibrées offrent une stabilité appréciable et un guidage facile et précis ; et la souplesse des quatre-cylindres aide à bas régime. Les positions de conduite, elles, basculées sur l’avant pour la Kawasaki et la Suzuki ou légèrement plus relevée sur la Honda, peuvent poser problème en milieu urbain ou à faible allure, car elles fatiguent à la longue.

Une fois aux commandes, l’univers proposé est digne du tarif exigé. Les tableaux de bord sont joliment dessinés et généreux en informations (surtout sur la ZZR) et les commandes sont douces et entièrement réglables. Bref, l’ambiance est feutrée, agréable, et invite à rouler d’autant que les échappements laissent sourdre un chouette grondement. Annonciateur de sensations stratosphériques ? Direction les cols vosgiens et les plaines alsaciennes avec un détour par les autoroutes allemandes, histoire de solliciter pleinement nos montures.

Confort acceptable. Basés à Paris, nous ne coupons pas à la séance autoroutière pour nous rendre sur notre lieu de test. Comme la TVA, on la subit. Pourtant, ce trajet de 400 km se déroule plutôt facilement. Aux vitesses légales, on peut aisément parler de confort avec nos trois protagonistes. Certes, les bulles sont trop basses, d’autant que nous roulons avec des sacoches de réservoir qui nous empêchent de nous effacer totalement. Le vent nous pousse alors les épaules et les remous font vite claquer la veste, provoquant alors de forts et désagréables bruits aérodynamiques. La Honda et la Kawasaki se démarquent toutefois de la Suzuki par un dessin de bulle bien meilleur pour dévier le flux de l’air. En fait, ce sont surtout les vibrations de la Honda et de la Suzuki qui fatiguent en premier. À l’arrêt ravitaillement, la main droite du conducteur de la XX est presque engourdie. Sur la Hayabusa, c’est le pied droit qui trinque malgré le montage d’une masselotte antivibratoire sur les repose-pieds pour atténuer le phénomène. La Kawasaki, elle, joue sur du velours et profite de sa conception moderne et de son contre-arbre d’équilibrage. Le travail de filtration est en effet exceptionnel. À 130 km/h, on ne ressent aucune vibration parasite, ni bruit suspect. Reposant.

Moteur : bride et bide

Dès le premier col de montagne, les larges sourires jusqu’alors omniprésents s’estompent. Par respect pour ces belles mécaniques, personne ne veut faire le premier pas pour poser le problème. Mais une nouvelle série de virages brise net cette réserve et les langues se délient. Axel est le premier à se lâcher : « Je peine franchement à trouver de l’intérêt au moteur de la ZZR. Il n’y a rien en bas, rien en haut… En gros, et sans vouloir faire de mauvais jeu de mot, c’est une mécanique qui fonctionne bien de 5 à 7 (sous entendu x 1 000 tr/min) ! » Avec cette nouvelle monture, Kawasaki a effectivement fait fort. En revendiquant 10 m.kg à 2000 tr/min, les ingénieurs ont eu peur que les motards « perdent l’arrière » à l’accélération sur le mouillé. Du coup, ils ont « calmé » électroniquement le moteur jusqu’à 5 000 tr/min (voir les courbes). Si l’on ouvre grand les gaz sur le premier rapport, la moto accélère mais sans plus (idem sur la version libre, voir MM n° 227). Un 600 fait aussi bien… voire mieux. Et quand le moteur prend enfin ses tours, le bridage à 100 ch intervient à partir de 7 000 tr/min. Du coup, le motard français profite seulement d’une plage de 2 000 tr/min. Rageant ! Mauvaise élève aussi, la ZZR, toujours aux normes Euro 2. Avec moins de 5 000 unités pour l’Europe, elle pourra ainsi être commercialisée au-delà de 2007.

À ses côtés, la Honda fait plutôt bonne figure, en attendant un éventuel nouveau modèle. Malgré ses 300 cm3 de moins, elle bénéficie d’une démultiplication finale qui la rend assez nerveuse à la remise des gaz. Le 4-cylindres ne brille pas pour autant par son caractère, mais les accélérations sont efficaces. Son gros défaut provient de la mauvaise gestion de l’injection en mode balade. Avec cet « oiseau noir », il est quasiment impossible de se déplacer sur un filet de gaz sans ressentir de désagréables à-coups. Pour en limiter les effets, il faut s’obliger à rouler un rapport en dessous… Pas toujours évident. Comme sur ses deux rivales, les hauts régimes (à partir de 7 500 tr/min) sont franchement décevants. Le moteur peine à prendre ses tours et provoque moult vibrations.

Au chapitre des vibrations justement, la Suzuki n’est pas en reste avec un carénage qui se met à trépider à l’accélération dans un vilain bruit de plastiques mal ajustés. Mais la Hayabusa se fait aussitôt pardonner grâce à la fougue préservée de son moteur. Elle est la seule, en effet, à sauver les meubles sur ce chapitre. Même en 100 ch, on profite d’une mécanique coupleuse et vive, bien que le bridage entache la deuxième partie de la plage de régime. Malgré ses 7 ans d’âge, la Suzuki donne une leçon à sa nouvelle rivale. Mais encore une fois, est-il possible d’ôter 100 chevaux à un moteur sans le dénaturer ? Pour enfoncer le clou, elle profite aussi d’une boîte de vitesses rapide et silencieuse (comme la Honda) alors que celle de la ZZR demande un mouvement parfait, presque en deux temps, pour verrouiller convenablement le nouveau rapport.

Comportement : irréprochable Kawa.

Il n’est pas difficile d’imaginer qu’une moto sortie en 2006 offre un meilleur comportement routier qu’une autre de 10 ans son aînée. La ZZR se comporte en effet royalement et son pilote est conquis par un fort sentiment de sécurité grâce à un châssis précis. La moto ne bouge pas sur les raccords et se montre plutôt facile à emmener grâce à de grands demi-guidons, et cela malgré un pneu arrière plutôt large (190 mm).

La Suzuki, elle, souffre d’une position de conduite physique et d’un univers sonore désagréable. Mais, virage après virage, elle se fait remarquer par son étonnante vivacité. Preuve que les ingénieurs avaient bien bossé sur ce châssis à l’époque. Les esprits tatillons lui reprocheront une stabilité perfectible dans les grandes courbes légèrement défoncées… Faut bien lui trouver un défaut !

Le châssis de la CBR 1100 XX Black Bird, lui, a pris un coup de vieux. À son guidon, il faut fréquemment compenser les mouvements de la machine aux passages de bosses quand les deux autres les survolent. De plus, ses suspensions (la fourche n’est pas réglable !) se montrent sèches quand la Kawa offre un velouté inégalable par le biais d’une gestion parfaite de l’hydraulique. Pour compenser, la Black Bird permet des freinages rassurants avec l’intelligent Dual CBS. En actionnant l’une des deux commandes, les deux étriers de frein rentrent en action et ralentissent au mieux la moto. Parfait. Dernier avantage de sa conception moderne, la Kawa propose un ABS sur un système performant qui allie confort de freinage et puissance. Enfin, la Suzuki prêtée par l’importateur, qui n’était pas au mieux de sa forme (maître-cylindre spongieux et disque voilé) a tiré la langue sur ce chapitre.

Verdict

La nouvelle Kawa arrivait sur un terrain plutôt facile en s’attaquant à deux machines vieillissantes. Mais les ingénieurs se sont fait piéger avec cette version conforme à la loi française. En adoucissant le moteur à bas régime pour éviter le patinage à l’accélération (probablement fort utile avec 200 ch) ; et en castrant l’engin à haut régime sans pouvoir le repenser de fond en comble. Ainsi, celle que nous attendions avec impatience nous a déçus avec des sensations et des performances dans les standards de ce qui se fait depuis de nombreuses années. La Honda CBR 1100 XX et la Suzuki GSX 1300 R sont donc encore dans le coup. Confortables sur autoroute et encore faciles à manier malgré le poids, nos trois montures assurent un service finalement similaire. Même si la Kawasaki se distingue par l’excellente filtration des vibrations et la qualité de ses suspensions. Au final, la Hayabusa prend l’ascendant dans ce comparatif avec son moteur expressif (malgré de pénibles vibrations) et un prix alléchant. Le mythe peut perdurer. En France.

Avec la participation de béatrice bouery, Axel Mellerin et Jean-Marc Renard.

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